De: Sandrine Bertaux <Sandrine.bertaux.@ehess.fr>
Objet: [LISTCENSUS:73] message n°2
Date : vendredi 18 décembre 1998 12:45
Michel Louis Lévy (Listcensus N°65) pose la question de savoir, je cite le problème est de savoir si le fait de mettre l'ethnicité dans une enquête d'un organisme public est un pas vers une quelconque institutionnalisation". Or il me semble qu'une fois de plus, le débat est mal posé et que l'on évite ainsi les questions de fond.
En complément de Jean Luc Richard (Listcensus n° 66) qui a clairement posé le problème de fond, j'ajouterai 3 points:
1-l'usage de la notion d'assimilation et les catégories ethniques de l'enquête "sur l'assimilation des immigrés et de leurs enfants": l'usage de la notion d'assimilation n'est pas neutre car elle contribue à l'imposition d'une vision raciale des populations. Or il ne s'agit pas d'une simple querelle de vocabulaire à propos des "français de souche", mais bien d'une critique à la construction de l'appareil conceptuel de l'enquête.
On peut d'ailleurs s'interroger sur le fait qu'Henri Leridon change le titre de l'ouvrage "maison", il met De l'immigration à l'intégration au lieu dde l'immigration à l'assimilation...
Ce qui m'amène au deuxième point:
2-la question des conditions de production scientifique à l'Ined: La notion d'assimilation a une histoire, et elle est, implicitement ou explicitement, celle qui domine les travaux sur les populations immigrées et leurs enfants dans les travaux démographiques français depuis les années trente. Elle n'a rien en commun avec celle forgée par l'Ecole de Chicago.
Le fait que cette notion puisse resurgir au milieu des années 90 malgré son invalidité scientifique, comme le démontre les catégories construites dans l'enquête MGIS, implique de faire une histoire sociale de ce concept. Maryse Tripier a parfaitement raison de rappeler aussi la production Ined du "seuil de tolérance".
Bien entendu (cf Patrick Simon Listcensus n°72), la mise en diffamation de 16 passages du dernier ouvrage d'Hervé Le Bras, Le démon des origines.
Démographie et extrême droite, s'inscrit dans l'histoire de l'institutionnalisation de la démographie en France et son caractère monopolistique sur deux thèmes: la natalité et l'immigration.
Ce qui m'amène au point 3:
3-catégories ethniques et race relations:
Je reprendrai ici un passage de Patrick Simon (Listcensus n°69): "L'usage et l'abus par les "jeunes de banlieue"- encore une catégorie dont l'usage pratique ne repose que sur son absence de consistance-d'une terminologie ethnique ou raciale pour se nommer et nommer les autres, peut dès lors s'interpréter comme un acte de résistance à cette forme de violence symbolique, exercée par la "société d'intégration" que constitue la dénégation de l'altérité."
Il me semble que Patrick Simon passe un peu rapidement sur l'usage sociale des termes. Lorsqu'il pose la "dénégation de l'altérité" c'est lui en tant que chercheur qui pose la question de l'altérité de certains natifs orientant ainsi le débat sur une simplification à outrance d'une étude des rapports interethniques, beaucoup plus complexes et qui ne doit pas faire oublier, ni la condition sociale des groupes étudiés et qui se revendiqueraient "autres", ni la place de ces groupes dans l'imaginaire français. Les courants migratoires sont inégaux, dans la formation de leurs flux, leurs conditions socio-économiques et leurs possibilités d'intégration pris dans des rapports historiques pays d'immigration/pays d'émigration.
Par ailleurs, tous les individus sont concernés par le processus d'intégration qui nécessite une approche globale, sociologique et historique du phénomène, sans poser dès le départ un groupe "assimilé" (les "français de souche") et des groupes placés sur l'échelle de l'assimilation, avec de subtiles gradations.
C'est bien cette simplification que l'enquête MGIS propose: est-ce parce qu'il y a une montée de la xénophobie, du racisme et de l'antisémitisme en France (et en Europe plus largement) qu'il faut mesurer l'assimilation des populations ainsi visées?
En aucun cas cela ne permet l'analyse du phénomène. Pire cela renforce, avec la notion idéologique d'assimilation et la catégorie "Français de souche" une vision raciale des populations.
Est-ce que parce que mes parents sont nés hors de France métropolitaine que je vais être discriminée ou est-ce parce que mon physique, mon lieu de résidence, mon nom et prénom, mon sexe sont autant de vecteurs de stéréotypes, parfois propices à la discrimination? En confondant caractères raciaux et race, l'enquête MGIS ne lutte pas contre la discrimination, elle la renforce.
Vous trouverez plus d'éléments dans le court texte ci-joint en document attaché qui sera publié prochainement.
Bonnes vacances,
Sandrine Bertaux