Hervé Le Bras formule quelques questions ou suggestions d'inégale pertinence.

Hervé Le Bras formule quelques questions ou suggestions d'inégale pertinence.


La première est relative au jeune Marx et je la trouve impertinente, parce que, si l'un de nous deux doit enseigner Marx à l'autre...Je "passe outre", non sans souligner que le débat entre échelles micro et macro pour les sciences sociales - qui est, ici, sous-jacent - me paraît oiseux. Hervé Le Bras peut pratiquer la démographie à l'échelle humaine s'il le souhaite et je ne mettrai pas en doute la scientificité potentielle de ses travaux; mais, pour ma part, je ne m'intéresse à la démographie, comme aux autres sciences sociales, qu'à l'échelle la plus macro qui soit. Par exemple à celle d'une Europe qui assemblait, au 19è siècle et sans la Russie, 25% environ de la population mondiale, non sans exporter pendant ce siècle le flux croissant d'émigrés dont J.C. Chesnais nous a appris à apprécier l'ampleur, pays par pays. Et d'une Europe qui groupe 10 % à peine de la population mondiale, à la veille d'un 21è siècle où ce pourcentage décroîtra encore, ce qui n'ira pas sans accentuer la problématique de l'immigration qui, déjà, la travaille. D'où l'utilité de recherches, démographiques et connexes, visant à traiter cette problématique le mieux possible, en son état présent et en son devenir, donc aussi en sa profondeur de champ historique. Bref, je ne reviendrai sur les discussions mic/mac que si l'on me montre que la démographie est inefficace à l'échelle macrosociologique.
Dire que "le seul moyen de défendre (m)on système est de l'appliquer" est, en revanche, une remarque tout à fait pertinente, même si je crains que ma contribution ait été lue un peu trop rapidement par Hervé Le Bras. Je propose non point de sortir de mon chapeau une "liste des tribus, ethnies et nations" qui vivent dans les Etats représentés à l'ONU, mais bien d'ouvrir une discussion sur les critères objectifs permettant d'élaborer une nomenclature des peuples, à 3 ou n catégories et en autant de sous-catégories qu'un traitement théoriquement pertinent le rendra nécessaire. Je n'ignore pas que cette nomenclature sera forcément approximative - comme celle des catégories socio-professionnelles, par exemple - car les peuples sont choses mobiles (j'ai dit choses; oh ! pardon !). Je soupçonne également que les discussions théoriques entre démographes, ethnologues, historiens et autres spécialistes qui prépareraient l'établissement d'une telle nomenclature pourraient être aussi complexes et longues que celles par lesquelles la production, le revenu, la propriété et cent autres notions perdirent de leur flou littéraire pour le plus grand bien de la macroéconomie. Si bien que ma suggestion d'un raccourci provisoire séparant les Etats-à-nationalité bien constituée, repérables (peut-être, c'est à discuter) par leurs aptitudes statistiques et les Etats à dominante encore ethnique, voire tribale, assemblables (peut-être, c'est à discuter) selon la civilisation dont ils relèvent n'est rien d'autre qu'un expédient temporaire permettant de diligenter des études - historiques ou d'actualité - sur les effets "macrodémographiques" des migrations internationales. En effet, à tort ou à raison, je considère que cet expédient objective déjà quelque peu le repérage (forcément approximatif) des peuples concernés par ces migrations. Tout ceci mérite une discussion qui pourrait commencer, par exemple, par le recensement des classements opérés par diverses institutions onusiennes et par le listage des civilisations vivantes aujourd'hui comme aux époques à considérer. Mais je concevrais fort bien que des voies différentes soient empruntables, si elles étaient explicitées, de façon théoriquement justifiable.
Dernière question : Hervé Le Bras s'inquiète des épithètes que je "réserve" (?) pour une classification "ethnique" en France. Réponse : en quelle période et en quelle zone ? S'agît-il de souligner le caractère raciste et colonialiste de la catégorie des "Français musulmans" qui est apparue ci et là, auquel cas j'avaliserai bien volontiers cette évidence ? S'agît-il de reconnaiître les Bretons (comme les ascendants de Le Bras ?) et les Flamands (comme mes ascendants) vers le 18è siècle, auquel cas l'épithète "provincial" me conviendrait en l'un et l'autre cas, à ce stade des ethnogénéses respectives de ces deux peuples encore distincts, quoique rangés sous une même dynastie ? Ou s'agît-il d'autres éléments ? d'autres périodes ? d'autres échelles plus mic ou plus mac ? Il n'est de réponses claires qu'aux questions clairement posées.
Robert Fossaert