Nicolas Brouard a mis sur le forum(listcensus 154) une information concernant la Cnil qui mérite quelques précisions : la Cnil a vu son président démissionner, il y a peu de temps, en raison effectivement de l'autorisation qu'elle a permis de croiser des fichiers ou d'en constituer de nouveaux, alors même que sa création avait pour but de freiner cette frénésie de fichiers. De la même manière, dans d'autres pays européens, les lois protégeant l'individu sont perverties par le fait, qu'une fois signée l'autorisation (que l'on signe sinon on ne peut même pas ouvrir un compte bancaire), les informations demandées sont très nombreuses et parfois en rapport lointain avec l'objet même de la démarche.
Par ailleurs, Michel Louis Lévy (listcensus 157) souhaite réorienter le débat dit-il sur les catégories ethniques. Mais en l'absence de réponse de la part de l'INED aux critiques émises à l'encontre de l'enquête MGIS, nous continuons dans une approche pluridisciplinaire à cerner le pourquoi d'une telle dérive, amplifiée le traitement judiciaire des critiques scientifiques. Elle permet d'avancer le débat sur les catégories ethniques et de dégager les différents niveaux d'interaction, scientifique, idéologique et politique.
Dans l'ouvrage De l'immigration à l'assimilation, Michèle Tribalat soulignait "L'aboutissement heureux de la demande d'avis de la Cnil montre, que grâce à des précautions élémentaires, ce type d'enquête ne met pas en péril ni la liberté des individus, ni les fondements de la République/color>"p.19
C'est pourquoi je livre ici l'avis (délibération 92.057, 9 juin 1992) de la Cnil, saisi par l'Ined, concernant l'enquête MGIS. J'avais déjà mis les passages sur l'échantillon (listcensus n°144). On peut retenir:
1- Les critiques à l'encontre de cette enquête, mettant en cause l'Ined comme institution sont largement fondées, si besoin est, puisque l'exploitation des questionnaires est sous la responsabilité de l'Ined, comme le fait d'avoir sélectionné les réponses sur les langues maternelles pour donner à voir une homogénéité ethnique des pays européens, et une hétérogénéité de plus en plus forte, dès que l'on passe sur la rive sud de la Méditerranée, points soulignés par Alain Blum, Hervé Le Bras et moi-même. L'analyse des données ayant par ailleurs abouti à des erreurs de calculs sur la polygamie repérée par Hervé Le Bras, qui restent sans réponses aujourd'hui et qui par conséquent continuent de se propager, l'Ined ayant largement contribué à la diffusion des résultats.
2-sans même revenir sur la taille des échantillons, revenons sur leur définition. Dans De l'immigration à l'assimilation, Benoît Riandey présente l'échantillon: au lieu comme il est dit dans l'avis de la CNIL de sélectionner des "français nés en france", il s'agit de "français de souche" c'est-à-dire selon la définition donnée dans le même ouvrage "de personnes nées en France de parents eux mêmes nés en France" sachant qu'on a exclu nombre de personnes correspondant à cette définition; pour les immigrés les personnes "nées à l'étranger dont la nationalité d'origine n'est pas la nationalité française" dans laquelle ont été comptabilisées injustement des personnes nées françaises en territoire sous souveraineté française; enfin, troisième catégorie, les personnes "nées en France d'un père originaire de..." alors que l'enquête donne à voir les "deux parents originaires de..." à des fins de construction de groupes ethniques, on l'aura compris. Revenons à l'ouvrage De l'immigration..p.85 "nous avons opté pour un certain nombre de simplificiations. Plusieurs degrés de mixité pourraient être distingués suivant que le conjoint est né en France ou non et qu'aucun, un seul ou ses deux parents sont nés en France. Ici, ne seront appelées "mixtes" que les unions dans lesquelles les deux parents du conjoint sont nés en France, ce qui correspond au degré de mixité maximal. Ces conjoints seront dits "Français de souche". L'existence d'unions entre personnes d'origine étrangère différente est négligée, sous l'hypothèse que les unions mixtes sont l'exact complément de celles conclues avec des compatriotes./color>" Pour créer de la "mixité maximale" (c'est peut être un homme et une femme tant que le mariage homosexuel n'est pas reconnu), il fallait créer en amont de la distance maximale, donc des "ethnies" ou des "races"...
3-sur les interaction entre administration et science dans la production des catégories, je renvoie au travail d'Alexis Spire dans une perspective d'analyse sociologique et au travail de Jean Luc Richard, sur les possibilités qu'offrent la statistique publique. On remarquera que l'objectif d'information "rigoureuse et cohérente" n'a pas vraiment abouti. Quant à la division quantitatif et qualitatif, pour le quantitatif l'enquête n'a pas eu pour objectif de dénombrer qui que ce soit, et sur le plan "qualitatif" les objectifs étaient déjà ceux de la Fondation Carrel, sur les cendres de laquelle l'Ined a été fondée, et je renvoie à mes articles pour l'interprétation morale et eugéniste de ces termes à l'Ined, concernant les flux immigrés des colonies ou de l'étranger.
4-on l'a vu l'affinement du concept d'intégration a surtout donné lieu à un glissement de sens vers celui d'assimilation: cf mon article à la revue française des affaires sociales, n°2, 1997 "le concept démographique d'assimilation: un label scientifique pour le discours sur l'intégration?" et livre les objectifs de l'enquête: créer indicateurs de mesure de l'intégration ce qui a peu de chose à voir avec la lutte contre la discrimination, argument en circulation aujourd'hui.
5-il est clair que les deux lettres de présentation de l'enquête auprès des personnes doient être différentes pour l'échantillon témoin et les deux autres groupes, selon la logique suivante: le premier groupe étant de facto considéré comme assimilé, les deux autres, étant en suspicion.
Sandrine Bertaux
Avis de la Cnil/color>
« Considérant que la commission est saisie par l'institut national d'études démographiques (INED) d'une demande d'avis concernant la mise en ¦uvre d'un traitement automatisé d'informations nominatives en vue d'exploiter les données collectées lors de l'enquête nationale sur la mobilité géographique et l'insertion sociale ;
Considérant que cette enquête, facultative, qui doit débuter, en septembre 1992, est réalisée par l'INED avec la collaboration de l'INSEE ; que l'INSEE procède au tirage de l'échantillon à partir des bulletins du recensement général de la population de 1990, de son échantillon, démographique permanent, du registre des foyers tenu par le ministère des affaires sociales ; qu'en outre l'INSEE collecte et saisit les données ; que l'INED est responsable de l'exploitation, de l'analyse des données et de la diffusion des résultats/color> ;
Considérant que pour cette enquête, il est prévu d'interroger 12 500 personnes/color> ; que la base de sondage est constituée de la manière suivante :
-un échantillon témoin de 2000 personnes, composé de français nés en France ;
/color>
-un groupe d'immigrés, c'est-à-dire de personnes nées à l'étranger dont la nationalité d'origine n'est pas la nationalité française mais qui peuvent être devenues françaises par acquisition et qui sont installées en France./color> Ce groupe est composé de 8500 personnes vivant dans un ménage ordinaire et de 400 personnes logées en foyers, qui sont des personnes d'origine espagnole, portugaise, algérienne, marocaine, turque, africaine et asiatique du sud-est ;
-un groupe de 1600 personnes, nées en France, âgées de 20 à 29 ans et dont le père /color>est originaire du Portugal, d'Algérie et du Maroc ;
Considérant que cette étude a été demandée par/color> le haut conseil à l'intégration après qu'il ait constaté les lacunes du système statistique français sur cette population ; qu'elle a pour objectif d'obtenir, pour la première fois, une information rigoureuse et cohérente tant sur le plan quantitatif que qualitatif, sur la vie des immigrés et de leurs enfants en France ; que les résultats de l'enquête doivent permettre d'approfondir les réflexions engagées par le haut conseil/color> ;/color>
Sur les catégories d'informations collectées et traitées
Considérant que cette enquête vise à collecter des données détaillées sur l'histoire migratoire, la nationalité, les parents, les frères et s¦urs, la vie matrimoniale, la fécondité et la contraception, les enfants, l'alphabétisation et la maîtrise du français, la scolarité et les études, la formation professionnelle, la vie professionnelle, le logement, les revenus, les loisirs et la vie sociale, la pratique religieuse ;
Considérant que ces informations doivent permettre de donner un contenu précis au concept d'intégration et d'affiner les critères d'intégration exprimés sous la forme de 23 indicateurs par le haut conseil/color> dans son rapport publié en novembre 1991 ; que lesdites données, en dépit de ce qu'elles touchent de près à la vie privée des personnes interrogées, sont « adéquates, pertinentes et non excessives » ainsi que l'exige l'article 6 de la convention du conseil de l'europe susvisée, au regard de la finalité de l'enquête ; que compte tenu de l'enjeu des problèmes posés par l'intégration des populations étrangères en France, la Commission n'émet aucune objection au recueil et au traitement des catégories d'informations énumérées précédemment /color>;
Sur l'application de l'article 27 de la loi du 6 janvier 1978 :
Considérant que les mesures d'information relatives à la finalité de l'enquête manquent de clarté dans la mesure où celle-ci est qualifiée « d'enquête nationale sur la mobilité géographique et l'insertion sociale »/color> ; que cette observation vise tant la lettre adressée aux personnes interrogées pour annoncer le passage de l'enquêteur de l'INSEE que la définition de la finalité de l'enquête dans le titre et le premier alinéa de l'article 1 du projet de décision portant création du traitement ; qu'en ce qui concerne l'information préalable des personnes soumises à l'enquête, il y a lieu de préciser que cette enquête n'est pas obligatoire, que l'exploitation des données est anonyme, et d'indiquer qu'elle a pour objet de mesurer l'intégration dans la société française, d'une certaine catégorie de la population d'origine étrangère ; qu'il convient de prévoir un texte différent pour la lettre destinée aux personnes appartenant à l'échantillon témoin/color> ; que le titre et le premier alinéa de l'article 1 du projet de décision portant création du traitement doivent également mentionner que l'enquête porte sur les personnes d'origine étrangère ;
Sur l'application de l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978 :
Considérant que le gouvernement a joint au dossier de demande d'avis un projet de décret en Conseil d'Etat portant dérogation, en application du troisième alinéa de l'article 31 de la loi de 1978, pour des motifs d'intérêt public, au recueil de l'accord exprès des personnes pour la collecte et le traitement de données susceptibles de faire apparaître l'origine ethnique et les opinions politiques et religieuses des personnes concernées ;
Considérant que l'article 5 de la loi du 6 janvier 1978 définit le traitement automatisé d'informations nominatives comme un ensemble d'opérations relatives non seulement à l'exploitation des données mais également à leur collecte ; que si l'exploitation desdites informations est anonyme, la collecte en revanche présente un caractère nominatif au sens de la loi précitée ; que le choix de la nationalité des populations soumlises à l'enquête d'une part, et les informations collectées sur ces personnes relatives à la polygamie, l'asile politique, la pratique religieuse et la langue maternelle d'autre part, sont en vertu de l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978 des données qui ne peuvent être recueillies sauf dérogation prévue par la loi, qu'avec l'accord exprès des intéressés ; qu'il résulte de l'instruction du dossier à laquellle la commission a procédé, que cet accord exprès peut être recueilli sans difficulté insurmontable faisant obstacle au bon déroulement de l'enquête ; qu'en conséquence, il n'y a pas lieu d'examiner le projet de décret présenté à la Commission ; qu'il convient de rechercher, à l'inverse, les modalités selon lesquelles pourrait être obtenu cet accord, en particulier auprès des personnes dont le niveau culturel rend l'accord écrit/color> ;
Sur la durée de conservation des données et les modalités d'exercice du droit d'accès :
Considérant que l'INSEE sera le seul destinataire des données nominatives ; que celles-ci seront détruites dans les six mois suivant la date de fin de la collecte et au plus tard avant la fin du premier semestre de 1993 ; que le droit d'accès auxdites informations pourra être exercé pendant ce délai de six mois ;
Sur les destinataires des données anonymisées :
Considérant que l'INED envisage de céder le fichier détail correspondant à l'enquête, aux organismes participant au financement de ladite enquête fin 1994 ; que ces organismes sont, outre l'INED et l'INSEE, le fonds d'action sociale en faveur des travailleurs migrants, l'office des migrations internationales, le ministère des affaires sociales et de l'intégration et le ministère de la coopération :
EMET UN AVIS FAVORABLE à la mise en oeuvre du traitement automatisé d'infirmations nominatives examiné, sous réserve que :
1-l'intitulé de l'enquête et la rédaction de l'alinéa premier de l'article 1 du objet de décision portant création du traitement sur la finalité, fassent apparaître clairement les buts de l'enquête ;
2- la lettre d'information, adressée aux personnes soumises à l'enquête soit également remaniée pour préciser l'objet de l'étude pour laquelle leur participation est sollicitée.
3-l'accord exprès des personnes interrogées soit recueilli selon des modalités à arrêter conjointement entre l'INED, l'INSEE et la CNIL."