De: Sandrine Bertaux <Sandrine.Bertaux@ehess.fr>

Objet: [LISTCENSUS:143] qui est immigré?

Date : lundi 15 février 1999 20:56

 

 

La listcensus est consacrée au débat scientifique sur les catégories

ethniques. En France, pour forger ces catégories ethniques telles qu'on les

voit apparaître dans l'enquête MGIS, l'attention s'est focalisée sur les

immigrés et leurs enfants. C'est pourquoi je vous propose ici un petit

retour sur la catégorie même d'immigré, qui servit de socle pour le passage

aux catégories dites ethniques, elles-mêmes faire-valoir de la catégorie

des " Français de souche ".

L'avis rendu par la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL

délibération n°92-057 du 9 juin 1992 portant avis concernant la mise en

¦uvre par l'Institut national d'Etudes démographiques d'une " enquête

nationale sur la mobilité géographique et l'insertion sociale ") est

instructif à cet égard, je cite :

"Considérant que pour cette enquête, il est prévu d'interroger 12500

personnes ; que la base de sondage est constituée de la manière suivante :

-un échantillon témoin de 2000 personnes, composé de français nés en France ;

-un groupe d'immigrés, c'est-à-dire de personnes nées à l'étranger dont la

nationalité d'origine n'est pas la nationalité française mais qui peuvent

être devenues françaises par acquisition et qui sont installées en France.

Ce groupe est composé de 8500 personnes vivant dans un ménage ordinaire et

de 400 personnes logées en foyers, qui sont des personnes d'origine

espagnole, portugaise, algérienne, marocaine, turque, africaine et

asiatique du sud-est ;

-un groupe de 1600 personnes, nées en France, âgées de 20 à 29 ans et dont

le père est originaire du Portugal, d'Algérie et du Maroc. "

 

Or pour forger cette catégorie, il a fallu opérer un double glissement :

considérer les anciennes populations colonisées comme des populations

étrangères de naissance et exclure les populations des Dom-Tom de la

population française et de la population immigrée en métropole.

Ainsi, dans l'Histoire de la population française, (PUF) publiée sous la

direction de Jacques Dupâquier, la population hors de la métropole, qu'elle

soit émigrée à l'étranger, aujourd'hui évaluée à près de deux millions de

personnes, ou qu'elle réside dans les Dom-Tom est omise. On croise

rapidement les populations sous domination coloniale dans le chapitre

consacré à " La population pendant la première guerre mondiale " où un

tableau classe les " Africains " sous la rubrique " Nationalités

étrangères ", alors qu'elles se virent mobilisées en métropole comme " main

d'oeuvre coloniale ", puis " rapatriées " après la guerre, en raison même

de leur statut de sujets français. On les retrouve aussi dans la partie

intitulée " Une France exsangue, des étrangers par millions " où elles sont

rassemblées dans une zone géographique " Afrique-Asie ". Enfin, dans le

chapitre consacré à " La présence étrangère ", rédigé par Philippe Bourcier

de Carbon, checheur à l'Ined, les Algériens apparaissent systématiquement

sous la rubrique " étrangers " avant leur indépendance, ce qui permet à

l'auteur de conclure le chapitre: " Vers 2010, elle (la population

d'origine étrangère) pourrait constituer un quart du total de la population

de la France métropolitaine ", oubliant de facto le rôle de l'empire

colonial dans la formation de la population française, les changements

territoriaux et les acquisitions de nationalité.

C'est dans les années 90, que par glissements progressifs se forge la

catégorie " immigré ". Dans un premier temps, la définition en est "La

population immigrée regroupe ainsi l'ensemble des personnes qui résident en

France et qui n'y sont pas nées. Mais comme nous parlons de l'immigration

étrangère et de la France métropolitaine, l'immigré est celui qui est entré

en France métropolitaine comme étranger "(Michèle Tribalat, " Mise au

point " Population & Société, n°291, juin 1994). Dès lors, par exemple, la

définition ne retient-elle que les personnes originaires d'Algérie, ayant

opté pour la nationalité algérienne et immigrées en France métropolitaine

après 1962 en qualité d'étrangers? En réponse à cette question, il est dit

plus loin " dans cette acception, les rapatriés d'Algérie, les originaires

des Dom et plus généralement toutes les personnes nées de parents français

à l'étranger sont exclus de la catégorie statistique des immigrés ". Les

personnes nées en Algérie, françaises, mais pas citoyennes ou citoyennes de

seconde zone, selon les dates de référence, immigrées avant 1962 en

métropole, sont comptées implicitement dans la catégorie " immigré " sans

pourtant correspondre à la définition.

En 1995, dans le sillage des lois Pasqua-Méhaigneire de réforme du code de

la nationalité, et voulant " rompre avec les anciennes colonies

françaises ", on réécrit l'histoire coloniale: " Est immigrée toute

personne née hors de France, qu'elle soit de nationalité étrangère ou non.

Etant donné que nous nous intéressons aux populations apportées par

l'immigration étrangère, seront considérées comme immigrées les personnes

nées étrangères à l'étranger. "(M. Tribalat, P. Simon et B. Riandey, De

l'immigration à l'assimilation, La Découverte/Ined 1996).

L'objectif est atteint : transformer des populations nées françaises en

populations nées étrangères qui marque l'avènement (à faible teneur

scientifique) de la catégorie " immigré ". Il s'agit d'une étape importante

parce qu'elle permet d'évacuer les critères de nationalité. Ce n'est pas

non plus le processus migratoire qui de la catégorie " immigré ", puisque

sont évacués d'autre courants migratoires, mais bien l'allogénéité

considérée de certains courants migratoires composés de Français de

naissance. Selon cette logique la construction d'une population allogène

reste incomplète: comment récupérer les enfants d'immigrés, étrangers ou

français? La première définition avait déjà introduit subrepticement les

ascendants dans la classification entre immigré/non immigré. Le reste du

" travail " est effectué via les catégories dites ethniques que l'on

connaît.

 

Sandrine Bertaux