Démographie, sciences sociales et origines
(extraits des chapitres 1 et 2 de RICHARD Jean-Luc, Dynamiques démographiques et socio-économiques des jeunes générations d'origine immigrée en France, thèse de doctorat en démographie, IEP de Paris, 1997)
dans la thèse, la troisième partie du texte ici adressé (Intégration versus assimilation en démographie) était située avant les deux autres parties.
"Le langage est une législation, la langue en est le code. Nous ne voyons pas le pouvoir qui est dans la langue, parce que nous oublions que toute langue est un classement, et que tout classement est oppressif (...)".
Roland BARTHES, Leçon.
A défaut de l'existence d'expressions judicieusement adaptées, clairement identifiées et massivement utilisées par l'ensemble du grand public, toute étude consacrée aux populations issues de l'immigration, et résidant sur le territoire national suppose une présentation des concepts utilisés, ainsi que de la définition qui leur est donnée. Le filtre "Français / étranger" est inadapté pour appréhender la population des enfants d'immigré(s), ne serait-ce que pour en apprécier la taille et les principales caractéristiques démographiques et socio-économiques. Les acteurs des sphères socio-économique et politique, à qui l'on demande d'organiser, sur le terrain, des politiques au bénéfice des populations issues de l'immigration se heurtent à des difficultés concrètes. Si l'étude quantitative des phénomènes ne permet pas, à elle seule, de rendre compte de l'ensemble des éléments explicatifs d'un phénomène, son utilité n'apparaît jamais aussi évidente que lorsque l'on constate que son absence rend lacunaires ou hasardeuses les conclusions tirées à partir des seules analyses qualitatives. Réciproquement, l'analyse quantitative ne peut être rigoureuse si elle n'est pas accompagnée d'une réflexion préalable dans laquelle il est fait appel au savoir de plusieurs disciplines. Tandis que les opinions se forgent parfois à partir d'intuitions plus qu'à partir d'éléments quantifiés, l'étude statistique des populations d'origine immigrée est souvent rendue délicate par des facteurs, tant d'ordre technique que politique, qui constituent un réel obstacle à la recherche scientifique. Plusieurs années de débats scientifiques, politiques et publics n'ont pas permis que des formulations cohérentes, unanimement admises par l'ensemble des chercheurs des différentes disciplines, se dégagent. Dans un domaine où l'approche irrationnelle a trop souvent pris le pas sur la connaissance objective des phénomènes, la responsabilité des chercheurs quant aux expressions utilisées est réelle. Les données statistiques sont des constructions influencées par les circonstances historiques et par les choix des décideurs administratifs. Face au matériau statistique qui lui est présenté, le chercheur peut adopter deux stratégies. La première consiste à dénoncer l'illusoire des statistiques qui ne fourniraient qu'une image incomplète, voire déformée, de la réalité. La seconde démarche, qui sera la nôtre, consistera à utiliser ce "gisement de données" et à en extraire la matière efficace, non sans lui faire parfois subir les retraitements nécessaires.
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A. La question des origines
Les indications sur une éventuelle appartenance religieuse ou ethnique, revendiquée ou non, ne figurent traditionnellement pas sur les listes de variables des bases de données produites par les institutions publiques françaises. Il nous semble logique que les catégorisations reposent sur des critères soit démographiques ou géographiques (lieu de naissance d'un individu, par exemple), soit sur des critères s'appuyant sur le droit positif qui a pu concerner une personne (la nationalité actuelle ou passée d'un individu qui peut être un ascendant d'une personne étudiée ou repérable par cette variable). Nous nous démarquons, par conséquent, des chercheurs qui souhaiteraient effectuer des études statistiques basées sur des regroupements de personnes à partir de critères principaux ou secondaires autres que les nationalités ou lieux de naissances de ces individus ou de leurs parents. Dès à présent, nous tenons à préciser que nous n'aurons pas recours à des catégorisations qui seraient envisagées sur la base de groupes que certains souhaitent qualifier "d'ethniques". Nous considérons surtout, pour notre part, qu'une telle démarche, notamment dans le cadre d'une étude quantitative réalisée à partir de données produites par des administrations publiques, ne peut, paradoxalement, que contribuer à entretenir l'équivoque dès lors que les informations statistiques dont on dispose ne contiennent que des informations sur des caractéristiques liées au droit (nationalité et ancienne nationalité d'individus, pays du lieu de naissance des individus et de leur(s) parent(s)). Pour beaucoup, la solution la plus adéquate est de s'en tenir à une analyse selon le lieu de naissance des parents d'un individu et de lui-même. Sur un plan purement politique, il est sans doute plus raisonnable qu'il en soit ainsi: certaines autres mentions ont ou auraient pu être utilisées, voici plus de cinquante ans, à des fins tragiques.
Jusqu'au dernier recensement étasunien, les individus ne pouvaient déclarer une pluralité d'appartenances raciales, ethniques et "ancestrales" ("ancestry"). Or, au moment de remplir les formulaires d'inscription dans les écoles, de nombreux parents ont objecté qu'il leur était difficile de choisir, pour leurs enfants, une appartenance à un seul groupe. Ce comportement impliquerait la négation d'une réalité vécue différemment par ces derniers et leurs parents eux-mêmes. Ainsi, le changement de la nature des informations recueillies, voire leur introduction, ne résoud pas un problème qui semble indubitablement insoluble si l'on persiste à vouloir en mesurer les aspects au moyen de la statistique. L'Organisation des Nations Unies ne considère pas qu'un possible questionnement sur l'ethnie, dans le cadre d'un recensement, porte sur une caractéristique fondamentale de la (des) population(s). Aux Etats-Unis, introduites dans le questionnaire du recensement depuis 1977, les questions sur l'appartenance raciale et ethnique des individus se sont avérées ne fournir que des réponses de plus en plus inopérantes. Ainsi, de plus en plus de personnes ont contesté, dans ce pays, la classification de la population à partir d'une question sur l'"ethnicité". Les modifications des catégories utilisées, dans le cadre d' "enquêtes-tests" pré-censitaires, envisagées en raison des faiblesses des anciennes nomenclatures, ont montré le caractère insoluble des problèmes de détermination d'appartenances ethniques ou raciales des populations.
En effet, dans le cadre de "cognitive interviews", les réponses différaient sensiblement, selon les formulations des questions et l'ordre des items éventuellement proposés. Dans les cas où des questions proposaient une possibilité de réponse de pluri-appartenance, cette dernière catégorie était très nettement plus choisie si elle était placée en dernière position de la liste présentée aux personnes interrogées. De même, selon que la question sur l'appartenance ethnique est couplée ou non avec celle sur l'appartenance raciale, la taille des sous-groupes constitués varie considérablement. Ainsi, dans le Current Population Survey de mai 1995, organisé par le Bureau of Labor Statistics, la population préalablement réputée hispanique par l'administration s'est spontanément déclarée comme telle à des pourcentages variant de 79 % à 95 %, selon les taxinomies testées. De plus, les caractéristiques socio-économiques des populations ainsi constituées étaient considérablement modifiées selon le traitement de l'information effectué.
Ces classifications ont cependant un certain mérite, car effectuées à partir de variables explicitement envisagées pour les construire, au vu et su de tous, et non à l'insu de populations concernées, éventuellement choisies préalablement. Quelle est la légitimité de construire l'ethnicité à partir de plusieurs variables qui ne sont pas directement associées à une définition positive de ce concept ? (Ce qui supposerait une auto-désignation). Certains chercheurs ont tenté de contourner cette difficulté en construisant une "origine ethnique" qui ne saurait, selon eux, être assimilée à une appartenance ethnique. Cette origine a été finalement attribuée, soit en fonction du pays de naissance des parents de l'individu auquel on voulait apposer la qualification ethnicisante, soit en fonction de la désignation explicite de personnes par d'autres personnes enquêtées. On ne peut pourtant que s'interroger sur cette méthode dont la conséquence logique serait de déterminer, volontairement ou par effet induit, une ou des ethnies qui composeraient le peuple des Français (une (ou des) "ethnie(s) française(s)"...). Enfin, en catégorisant les immigrés, ou les personnes d'origine immigrée, dans des ethnies ou groupes ayant le même intitulé que celui attribué aux populations autochtones des pays d'émigration, le démographe confondrait le groupe étudié et le groupe d'origine, dont les membres du premier groupe sont, de par l'existence passée d'une migration parentale ou individuelle, extérieurs ou devenus extérieurs. Comme l'a noté N. Glazer, cela n'est pas sans conséquences sur les représentations dans les études à caractère inter-générationnel.
Indépendamment de la question de la dénomination du critère de classification, il convient de relever que le classement en prétendues ethnies (ou toute autre catégorisation de nature similaire) construites à partir de la langue de naissance des parents, ne constitue pas le critère le plus opératoire pour les études démographiques et économiques, même lorsque cette classification n'est utilisée qu'en référence aux seuls immigrés.
Notons aussi qu'user d'un critère, pour montrer d'éventuels effets concernant un ensemble de personnes dont certaines similitudes de leur histoire de vie, de leurs comportements et qualités pourraient justifier éventuellement l'utilisation du terme de communauté, n'implique pas nécessairement, a priori, une conviction de la pertinence d'un tel choix, ni la certitude d'un résultat confortant cette hypothèse a posteriori, comme l'a justement relevé M. Tribalat. F. von Hayek a clairement posé les termes de cette problématique, dans son ouvrage Scientisme et sciences sociales et, il y a plus de quarante ans, les auteurs d'une des premières enquêtes auprès des populations algériennes immigrées en France en avaient convenu: "Le groupe des immigrés constitue-t-il un groupe réel, avec un style de vie caractéristique et des modèles de conduite qui les différencient de leur compatriotes, ou bien s'agit-il d'une construction arbitraire et artificielle ?". La réponse incertaine à cette question a entraîné le développement de travaux où l'origine nationale n'était considérée que comme une variable parmi d'autres tout autant importantes, sinon plus. Mais ce n'est pas parce qu'il n'y a pas nécessairement, à nos yeux, de communauté(s) regroupant immigrés et personnes nées en France, qu'il n'y a pas de stratégies ou de liens communautaires.
B. Des générations issues de l'immigration
Tandis qu'elles comportent toutes désormais, pour les individus recensés ou enquêtés, les informations relatives à leurs nationalité et lieu de naissance, les statistiques émanant des administrations publiques ne contiennent généralement pas des informations telles que la nationalité ou le lieu de naissance des ascendants d'un individu. Les lecteurs attentifs des séries statistiques produites par l'INSEE à partir des recensements de 1954 et 1962 auront cependant remarqué qu'une catégorie "Algériens", à la définition particulière, avait été constituée à l'époque par l'organisme public: "Il s'agit des Algériens musulmans (...) Personnes dont le nom et le prénom ont une consonance arabe ou berbère". L'Algérie était alors département français. Cette technique de classification, aux fins de mesure de l'importance des mouvements de population entre la France et l'Algérie devenue indépendante, fut nécessairement de nouveau utilisée par G. Desplanques, en 1975. Depuis la Libération, dans ses publications, l'institut public de statistiques n'a jamais catégorisé les populations à partir de critères qualifiés d'"ethniques".
La dénomination des enfants d'immigrés en fonction de leurs origines pose des problèmes qui ne peuvent être dissociés de la nature des critères choisis pour construire et nommer une telle sous-population. Dans le rapport de J. Bocquet au Conseil économique et social, intitulé La scolarisation des enfants de migrants, il est ainsi indiqué: "On mesure (...) toute la difficulté qu'il y a à cerner aujourd'hui avec précision le concept d'enfants d'immigrés. N'examiner que le cas des enfants de nationalité étrangère oblige à négliger bien des enfants français mais issus de l'immigration, dont nous avons du mal à évaluer le nombre et plus encore les "performances", faute de statistiques". Il fallut attendre 1992 pour que, dans le cadre de l'enquête MGIS, un échantillon de 1956 enfants nés en France de parents immigrés soit étudié statistiquement, à partir de données rétrospectives. Les enquêtes à caractère diachronique, principal moyen d'envisager et de mesurer l'intégration comme un phénomène se déroulant dans une période relativement longue, ont été, jusqu'à présent, inexistantes.
Souhaitant souligner l'importance des conséquences actuelles des flux migratoires anciens, G. Noiriel indique qu' "un siècle après l'invention de l'immigration, toutes les conditions sont réunies pour l'invention de la seconde génération". Cette expression "seconde génération" connaît en effet, depuis quinze ans, un relatif succès: chacun aura compris qu'il est question, dans la citation précédente, de jeunes personnes dont la présence en France résulte de la migration effectuée par au moins un de leurs parents. Cependant, le vocable "seconde génération" ne sera pas utilisé dans cette thèse. En premier lieu, cette expression ne peut être envisagée qu'en référence à une "première génération" dont une définition préalable (et, si possible, unanimement acceptée) doit être donnée. Selon certains, la "première génération" doit être comprise comme regroupant les "primo-migrants". La "seconde génération" est alors, par conséquent, composée de leurs enfants. Pour d'autres chercheurs, l'usage de "première génération" ne doit s'appliquer qu'aux fins de dénomination de la première génération de personnes nées sur le territoire national: elle regroupe alors uniquement les enfants de parent(s) immigré(s). La "seconde génération" est donc doublement au centre des débats... (D'autres démographes considèrent enfin que certains individus ne sont pas classables dans une nième génération issue de l'immigration s'ils sont issus de parents appartenant à deux "dites" générations différentes). L'acception la plus couramment répandue de l'expression "seconde génération" est la première présentée: son utilisation sous-entend aussi l'affirmation de l'existence d'une logique de continuité et de similitude des destins individuels. Le mérite principal de cette appellation "deuxième génération" serait de s'inscrire dans une problématique de reproduction sociale que les faits ne démentiraient pas. Il nous semble donc préférable d'employer les expressions "jeunes générations d'origine étrangère" ou "jeunes générations d'origine immigrée". Malgré leur relative imprécision, elles permettent d'éviter des expressions qui, utilisées à tort, ne rendraient pas compte des problèmes auxquels est confronté le chercheur qui utilise les matériaux statistiques disponibles.
Force est de constater que le terme immigrants n'est que très rarement utilisé en français tandis que son usage est très développé dans les travaux en langue anglaise. La particularité de la dénomination généralement utilisée en français s'explique en partie par la volonté d'usage d'un participe passé substantivé tandis que immigrant correspond au participe présent. Cela implique l'affirmation du caractère révolu de la migration. L'usage du mot immigré s'inscrit donc aussi dans la perspective intégrationiste française. Dès 1791, le terme émigré est apparu pour nommer, à l'époque de la Révolution française, les royalistes qui avaient quitté la France à cette époque, puis ceux qui, Russes, sont venus dans notre pays après les événements de 1917. Afin d'éviter des répétitions et de diversifier les termes employés, nous utiliserons aussi le mot immigrant, notamment lorsque l'affirmation implicite du caractère non définitif de l'établissement de l'individu ou de ses enfants dans notre pays nous semblera pertinente.
Nommer immigré celui qui est né en France, c'est le marquer, à tort, du sceau de l'extranéité. Par contre, les 4 % de Français de naissance (soient deux millions de personnes) qui ont vu le jour hors de nos frontières et qui vivent désormais en France, ne sont jamais considérés comme des immigrés, participe substantivé trop souvent utilisé comme seconde moitié d'un couple antinomique, dont le premier membre serait Français de naissance voire Français tout court. Il convient de ne pas perdre de l'esprit l'existence de cet a priori à partir duquel le sens commun s'est imposé. Une expression qui aurait aussi intégré le caractère international de la migration parentale aurait été plus précise, mais plus longue, peu commode et difficile à formaliser. Notre choix est donc aussi un choix de commodité. Parler de "jeunes générations d'origine immigrée" nous semble pertinent en raison de la référence qui est ainsi effectuée au concept de migration internationale, phénomène économique et démographique qui n'a de sens que s'il est considéré en référence à une population d'une entité géographique ou politique qui est un produit de l'Histoire et une construction intellectuelle (un espace). De plus, si un enfant d'immigré(s) reste vivre en France, il est, aussi longtemps qu'il y séjourne, un jeune d'origine immigrée; et ce dans la mesure où son (ses) parent(s) a (ont) généralement été immigré(s) jusqu'à la fin de leurs jours, tout en ayant pu acquérir la nationalité française pendant le cycle de vie et éventuellement devenir français avant la naissance de l'enfant dont il est ici question. Un immigré installé dans un pays d'accueil le demeure tant qu'il y séjourne, mais ne reste pas nécessairement un étranger ad vitam eternam. L'usage de la dénomination que nous avons choisie constitue donc, dans une certaine mesure, l'expression d'une tendance à l'euphémisation: ces jeunes générations sont considérées comme fils et filles d'un phénomène qui les transcende". De nombreux enfants d'immigrés sont français, soit en raison de leur naissance en France, soit en raison de la nationalité française qu'ils ont pu acquérir, indépendamment ou non de l'éventuelle entrée de leurs parents dans le peuple français.
La question de savoir s'il convient de parler plutôt d'enfants d'immigré(s), ou d'enfants de migrant(s) trouve, nous semble-t-il, une réponse dans la logique qui prévaut lors de la recherche. Lorsque H. Beauchesne et J. Esposito ont étudié les problèmes psychosociologiques des enfants dont les parents ont migré, ils insistèrent sur l'état de précarité découlant du changement de résidence parental. Le mot migrants utilisé dans l'intitulé de leur ouvrage se trouve légitimé comme étant "celui qui met le plus l'accent sur le vécu psychologique". Dans leur étude sur les départs d'enfants vers le pays d'origine de leurs parents, Y. Charbit et C. Bertrand utilisent logiquement cette même expression. Dans la perspective d'un suivi longitudinal des devenirs individuels, dès lors que nous concentrons essentiellement notre attention sur la situation des mêmes jeunes adultes présents en France aux dates des deux recensements ultérieurs, nous faisons principalement référence à des familles et personnes venues se fixer en France. Nous nous attachons donc à étudier les conséquences d'une migration antérieure et achevée, phénomènes que l'on identifie désormais souvent sous le terme générique d' immigration. Le terme migrant nous semble donc devoir être réservé à la dénomination des personnes dont le caractère durable ou définitif de l'installation dans un pays étranger n'est pas établi. Or, en effectuant une étude s'appuyant sur le suivi de cohortes, nous avons étudié essentiellement les personnes qui demeurent dans le champ d'observation. Ainsi, si les enfants furent, à l'origine, des enfants de migrants, le fait d'étudier leur intégration amène à les nommer ensuite enfants d'immigrés.
L'origine nationale qui semble particulièrement ressentie par les individus, a une importance réelle bien que, parmi ceux qui résident sur notre territoire, les seules distinctions légales, face aux droits, sont celles fondées sur les nationalités (présentes et, parfois, passées). Un Français qui a acquis la nationalité française est un citoyen français de plein droit: le lieu de naissance d'un individu ou celui d'un de ses parents, pas plus que la religion, ou l'appartenance à une prétendue race, ou la catégorisation au sein de groupes ethniques, ne constitue un critère de distinction dont l'usage serait autorisé, par la loi, dans le domaine de l'exercice des libertés et droits individuels, dont celui d'exercice ou de recherche d'un emploi. La dénomination précise des enfants d'immigrés, selon une origine nationale, s'avère délicate.
La tradition de l'intégration à la française s'oppose en effet à l'usage d'expressions du type "franco-algérien" ou "italo-français", semblables aux expressions étasuniennes telles que "hispano-american" ou encore "black-american", formulations qui abondent dans la littérature anglo-saxonne. La grande majorité des cas où de telles expressions sont utilisées en référence à la situation française, apparaît dans des ouvrages ou articles publiés dans une langue étrangère, par des chercheurs français parfois, étrangers le plus souvent. Le seul usage légitime de ce type d'expressions, dans le cas de populations résidant en France, nous semble être réservé à des individus légalement titulaires d'une double nationalité, dès lors que la connaissance de cette double nationalité est connue et permet d'expliquer un phénomène social. Sans nier la persistance des sentiments d'appartenance communautaire, nous préférerons utiliser des expressions du type personne "d'origine italienne", "d'origine espagnole", "d'origine algérienne", selon la déclaration de nationalité de naissance du parent de cette personne. Une telle formulation ne gagne certes pas en concision, mais permet néanmoins, à partir d'un critère juridique, de concevoir la question des origines familiales indépendamment de la nationalité actuelle de l'individu, tout en s'appuyant sur un critère a priori de nature juridique, moins subjective. Par exemple, un jeune d'origine tunisienne ayant la nationalité française sera considéré comme un citoyen français d'origine tunisienne plutôt que comme un franco-tunisien, expression qui laisserait présager non seulement une pluralité d'appartenance culturelle, mais aussi une pluralité d'allégeances, ce qui n'est pas nécessairement le cas. Ainsi, parmi les jeunes d'une origine nationale donnée, certains sont des étrangers, d'autres des ressortissants français. Etudier le cheminement des uns sans étudier celui des autres équivaudrait à oublier que le passage d'une catégorie à l'autre, via l'entrée dans la communauté nationale par l'acquisition de la nationalité française, est un phénomène important, aux conséquences multiples. Par conséquent, nous ne nommerons pas, par exemple, les jeunes d'origine espagnole nés en France, comme originaires d'Espagne. S'ils sont nés en France, nous considérerons alors que l'origine que nous leur attribuons est culturelle et familiale, et non purement géographique relativement à leur personne.
Enfin, parce que le concept ne nous semble pas porteur d'une clarification, nous n'utiliserons pas le mot "beur" (qualificatif issu du langage parlé populaire), terme dont on ne sait précisément qui il concerne.
C. Choix lexicologiques: traditions scientifiques et enjeux politiques
La présence des immigrés et descendants d'immigrés sur le territoire national a entraîné le développement des études portant sur les formes de participation de ces personnes aux évolutions actuelles de la société française. Les mots "adaptation" et "accommodation", qui furent parfois utilisés autrefois, par l'INED, par exemple, ne sont plus guère usités de nos jours. La distinction de l' "intégration" et de l' "adaptation" n'apparaît pas évidente de nos jours et l'usage de cette dernier concept est d'abord légitime pour l'étude des seules populations immigrées. Les termes "assimilation", "insertion" et "intégration" ont parfois été indifféremment employés, mais l'analyse lexicologique ne permet pas de conclure à l'équivalence de ces trois termes. Ne peut-on pas s'interroger sur quel concept du triptyque mentionné précédemment privilégier au commencement d'une recherche dont on ignore, en partie, à quelles conclusions elle mènera ? La nécessité d'une réflexion sur les expressions à utiliser, selon les circonstances et l'objet de la recherche, s'est progressivement imposée. Les débats contemporains autour de cette question ont souvent été fort confus et, dans ce cas, n'ont mené qu'à peu de définitions opératoires.
Force est de reconnaître que les discussions ont souvent été idéologiques. A nos yeux, les enjeux politiques interfèrent pour ce qui concerne l'utilisation des concepts et ce, non seulement à des fins partisanes. D. Schnapper considérait même, voici vingt ans, que "L'assimilation, l'intégration ont en commun d'avoir été élaborées pour des raisons politiques et non scientifiques".
L'usage exclusif du concept "assimilation" est aujourd'hui contesté en démographie. Comme l'a noté P. Weil, historiquement, "subsidiairement, certains démographes ont le souci de différencier parmi les différentes origines "ethniques", culturelles ou nationales, les plus "assimilables"". Les débats actuels ne s'expriment plus en ces termes, mais des chercheurs continuent aujourd'hui d'utiliser le terme "assimilation".
Terme introduit dans le domaine de la sociologie par l'Ecole de Chicago, l'assimilation est un concept adapté si l'on envisage essentiellement certaines pratiques culturelles ou sociales, dans un cadre juridique. Utiliser parfois le concept d'assimilation ne revêt pas nécessairement une dimension particulière, mais le domaine de la recherche en sciences sociales ne peut se soustraire aux contextes contemporains qui interfèrent dans les débats. Dans une société de droit, il doit y avoir assimilation des normes dominantes (assimilation prenant aussi le sens d'apprentissage ici). Une convergence des comportements et situations observés peut exister mais une certaine diversité demeure alors. Dans les régions françaises, d'importantes différences persistent entre les sociétés locales et entre les croyances et comportements individuels, mais elles ne s'opposent pas à la construction d'une identité nationale. Certaines cultures régionales intègrent des éléments qui remontent à des vagues migratoires ou des traditions religieuses très anciennes. Or, il semble même que la plus grande ressemblance qu'entraîne la progressive convergence des attitudes et comportements et aptitudes des populations semble freiner l'"harmonie sociale", dans certains domaines.
Tout en privilégiant un terme, certains chercheurs et acteurs du monde politique ou médiatique ont parfois utilisé plusieurs appelations de manière simultanée et subtile. Ainsi, pour E. Todd, "L'analyse détaillée du processus d'intégration des populations immigrées en France conduit à la conclusion peut-être surprenante d'une accélération tendancielle des phénomènes d'assimilation". L'assimilation pourrait ainsi être une des possibilités d'aboutissement d'un processus d'intégration. Elle pourrait prendre le temps de plusieurs générations. Selon certains, privilégier le choix d'un des trois concepts s'avère relativement délicat, tant en raison de leur caractère propre qu'en raison de l'extrême diversité des situations observées.
Le premier usage du verbe pronominal s'assimiler par un démographe apparaît sous la plume du libéral P. Leroy-Beaulieu, en 1897, dans La question de la population et la civilisation démocratique: "Les étrangers provenant des pays prolifiques voisins, viennent affluer chez le peuple riche et stationnaire et, s'ils ne secouent pas son inertie, du moins ils parent à quelques-uns des inconvénients de sa torpeur" et "quels que soient les désavantages qu'au point de vue du maintien des traditions et du cachet national ait cette infiltration et cette fixation sur le sol d'une population exotique, il convient que le peuple stationnaire, à plus forte raison le peuple déclinant, leur fasse bon accueil et qu'il cherche à s'assimiler ces nouveaux arrivants".
Selon les provinces, d'importantes différences persistent entre les sociétés locales et entre les croyances et comportements individuels, mais il semble qu'elles ne s'opposent pas à la possibilité d'une construction d'une identité nationale. Il existe des phénomènes de mimétisme parmi les populations issues de l'immigration étrangère, mais le modèle français s'appuie davantage sur des valeurs que sur une uniformité de comportements qui fonderaient une certaine manière de "faire France". Certaines cultures régionales intégrent des éléments qui remontent à des vagues migratoires ou des traditions religieuses très anciennes. Or, il semble même que la plus grande ressemblance qu'entraîne la progressive convergence des attitudes et comportements et aptitudes des populations semble freiner l'"harmonie sociale", dans certains domaines, car "paradoxalement, ce ne sont pas les "différences" des étrangers qui posent problème mais leur convergence vers le modèle national".
L'assimilation est souvent présentée comme la voie d'adaptation la plus radicale, y compris par ceux qui n'utilisent pas ce concept. La lexicologie montre que l'assimilation peut effectivement être comprise ainsi, mais le terme peut aussi signifier l'affirmation d'une similitude ou égalité formelle apparente mais non considérée comme réelle. Si l'assimilation peut être le processus par lequel des entités différentes deviennent semblables, elle peut aussi être un moyen de comparaison qui ne présuppose pas l'identité. Il est aussi possible de faire référence, par exemple, à l'usage du verbe pronominal "s'assimiler" (extrait du dictionnaire Petit Larousse illustré de 1979: "S'assimiler: v. pr. Devenir semblable: ces immigrants se sont parfaitement assimilés aux habitants. Se comparer: s'assimiler aux grands hommes"). Par exemple, assimiler, c'est considérer, par souci de commodité ou de simplification, par exemple, comme identique à un objet un autre dont on croit ou sait que ce n'est naturellement pas le cas.
Selon certains auteurs, l'assimilation impliquerait la résorption de spécificités culturelles, tout au moins. Pour A. Touraine, il doit y avoir une "intégration sociale" et une "assimilation culturelle". L'assimililation serait envisageable sans qu'il y ait interaction entre les nouveaux arrivants (ou leurs descendants) et les populations issues de familles autochtones ou installées depuis longtemps car, ainsi que l'a relevé M. Tribalat, par opposition, "la notion d'intégration dépasse, on le voit, la seule question de l'immigration étrangère et s'applique à la société toute entière". Or, la pertinence de la croyance qu'il puisse y avoir ce que l'on nommerait "assimilation" dans une société d'accueil où les agents et instances collectives seraient passifs est illusoire, plus encore dans le cas d'une étude sur des populations issues de l'immigration. En 1991, M. Tribalat insistait, à juste titre, comme démographe, sur le fait que "l'intégration dans la population française -en vertu des dispositions du code de la nationalité- (...) accompagne la promotion sociale des immigrés et de leurs descendants". Si l'on dépasse la seule dimension démographique, comme l'a noté G. Tapinos: "Une première façon d'envisager l'avenir de la présence étrangère en France se situe en continuité avec cette problématique intégrationiste. Dans cette approche, le problème est celui du degré d'interaction entre les différents groupes". C'est pourquoi on ne doit pas étudier les comportements de mise en couple des immigrés ou des jeunes issus de l'immigration, sans les mettre en relation avec l'ouverture des stratégies de mise en couple des fils et filles des Français de naissance.
Evoquer un prétendu ancien "modèle français d'assimilation" nécessiterait au moins de définir le concept autrement que par une référence à d'imprécis "traits culturels, ethniques ou autres [ne] faisant obstacle à l'assimilation". Enfin, l'usage exclusif de l'assimilation permet de ne pas considérer nécessairement l'immigration comme un fait propre à l'organisation économique française, mais comme un phénomène "subi" éventuellement en raison d'une absolue nécessité démographique ou économique.
L'actualité politique récente, et certains discours à prétention scientifique, ont montré que le choix raisonné de certains termes par les formations politiques ne doit rien au hasard. Par exemple, pour le Front national qui craint une "révolution ethnique", "l'assimilation des personnes individuellement (...) laisse intacte l'identité du peuple", tandis que l'intégration, qui "n'inclut pas le rejet de la culture d'origine", serait un concept dont l'utilisation devrait être bannie. (Notons, en complément, que les analyses des responsables de ce parti politique s'appuient sur une racialisation des appartenances concernant les enfants d'immigrés. Deux exemples illustratifs: J.-M. Le Pen, en 1985: "J'ai une amie qui a voulu placer ses enfants dans une école du 15ème arrondissement et on lui a dit qu'on ne pouvait, hélas, pas les prendre car on ne pouvait assurer leur sécurité tant ils étaient différents racialement des autres. Il est vrai qu'ils étaient blonds aux yeux bleus! Nous disons que cela suffit et que tout cela doit changer". Pour les dirigeants du FN, les Français de souche se reconnaissent avec "les yeux et les oreilles". Et: "Les familles venues d'Outre-Méditerranée prolifèrent si bien que dans bon nombre de classes primaires, nos enfants sont en minorité et voient leur avenir sacrifié aux exigences d'une autre race forcément d'un niveau moins élevé (même s'ils sont aussi intelligents) en raison de l'inadaptation sociale de leur famille").
Terme introduit dans les sciences sociales par H. Spencer, l'intégration, est, comme l'a souligné A. Sauvy, "une des solutions possibles qui peuvent être données aux problèmes de coexistence de deux populations différentes, réunies sous une même autorité politique". L'usage du terme intégration semble être le plus approprié, dans le contexte national français et européen, dans les différentes langues, comme en témoignent de nombreux titres d'ouvrages. (Bien que l'étude quantitative effectuée souffrait d'un défaut de réflexion sur la constitution des populations de personnes d'origine immigrée, il semble intéressant de rappeler ici un résultat d'une enquête d'A. Muxel. En 1987, 88 % des jeunes de 18 ans ayant un père étranger de religion musulmane, déclaraient être favorables à leur "intégration dans la société française").
Considérant que l'assimilation ou l'intégration sont aussi des termes utilisés à l'issue d'un processus (on parle ainsi d'une intégration réussie), on peut être tenté de voir dans le substantif "insertion" la plus neutre des trois formulations. Ce mot peut être plus aisément employé au début de l'observation d'un phénomène "qui prend du temps", sans préjuger des évolutions postérieures. Son usage est légitime dans des contextes particuliers, mais une clarification s'impose. En reprenant en partie la définition proposée par J. Costa-Lascoux et en la transposant aux individus de notre échantillon, on peut convenir qu'user du terme générique d'"insertion" consiste à reconnaître à un jeune d'origine immigrée la place qu'il occupe dans une économie, un cadre social ou culturel; mais c'est aussi envisager qu'il puisse éventuellement préserver, au moins partiellement: une identité d'origine; des spécificités culturelles et les modes de vie traditionnels de sa famille; c'est enfin accepter l'idée et l'éventualité d'un détachement possible, soit par le refus d'inscrire ses faits et actes en correspondance aux lois de la société d'accueil, soit par la volonté de réinsertion dans le pays d'où sont originaires ses parents (et où il est éventuellement né). L'utilisation du terme insertion a été contestée à plusieurs reprises, car elle supposerait une logique de permanence de particularismes communautaires, réciproquement revendiquée. Il s'agirait du processus par lequel la dissolution d'une entité communautaire, puis sa dispersion, par l'intégration, seraient remises en cause.
Dans le cas qui nous concerne, la question de savoir si les individus de notre échantillon font partie de la société française ne se pose pas mais sont étudiées les modalités de l'insertion dans différentes structures et champs sociaux. En effet, que l'on étudie la réussite scolaire, ou l'entrée dans la vie active, ou les comportements matrimoniaux, il y bien insertion d'un individu dans différentes structures (le système éducatif, le monde du travail, et le monde des adultes par l'intermédiaire de la constitution d'une famille, par exemple), même si des interrelations peuvent exister entre les différents "marchés" segmentés (celui de la formation, celui du travail, le marché matrimonial). C'est donc en référence à des ensembles, auxquels, de par leur âge, ils sont initialement extérieurs, qu'il faut concevoir l'insertion sociale et professionnelle des jeunes. Insertion sociale et professionnelle écrivons-nous, car il nous semble abusif de réduire la mesure de l'ensemble des processus à la seule aune de l'activité professionnelle exercée par les individus. Un tel choix constituerait aussi la négation des interrelations qui existent entre les trajectoires professionnelles et des variables socio-démographiques et juridiques telles que la nationalité et l'état matrimonial. G. Kepel souligne ainsi: "(...) les autorités françaises s'efforcent aujourd'hui de définir une "politique de l'intégration" qui, par diverses mesures favorisant l'insertion sociale des populations concernées (accès au marché du travail par une formation de la "seconde chance" à la suite d'échec scolaires, politique du logement social visant à éviter la constitution de ghettos, revenu minimum d'insertion, etc.), traitent le problème à travers ses causes et non ses symptômes". L'intégration aurait donc pour caractéristique "de ne pouvoir se réaliser que comme effet secondaire d'actions entreprises à d'autres fins". Ce sont ces mesures qui permettent de concevoir cette insertion individuelle comme un préalable à une possible intégration ultérieure et définitive.
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L'intégration est un processus du temps long. Evidence trop souvent oubliée, elle commence dès le début du séjour (ou de la vie, tout simplement) en France. Son étude présuppose l'acceptation de n'être réalisée qu' a posteriori, au moyen de techniques longitudinales. Etudier l'intégration implique, au pire de ne pas oublier, au mieux d'étudier, les dimensions qui ne relèvent pas de l'éventuel achèvement du processus. Ainsi, il est bien de tenir compte aussi de tous les individus pour lesquels on dispose d'informations biographiques lacunaires.
L' intégration est donc un concept qui prolonge, sur le terrain de l'explication de la réalité sociale, les conclusions qu'amènent les approches interactionnistes qui semblent aujourd'hui fournir, dans le domaine des sciences humaines et sociales, les plus pertinentes des grilles d'analyse des comportements individuels et collectifs (thématique de l' "enrichissement réciproque"). "Intégration" est aussi un terme polysémique à propos duquel F. Perroux écrivait, en 1954: "Dans la hiérarchie des mots obscurs et sans beauté dont les discussions encombrent notre langage, le terme d'intégration occupe un bon rang". Pouvant être appliqué soit à un système social, soit au rapport qu'entretiennent réciproquement un individu et un système social, le concept d'intégration désigne un état de forte interdépendance ou cohérence entre les éléments ou bien les processus sociaux. Il y a quarante ans, ce terme était souvent utilisé par les partisans de l'Algérie française, en référence à la situation juridique et institutionnelle des populations autochtones musulmanes. Sophia Mappa, dans l'ouvrage L'Europe des douze et les autres. Intégration ou auto-exclusion donne cette définition: "L'intégration est un processus collectif où les groupes sociaux en jeu se posent comme sujets relativement autonomes et conscients de leurs objectifs. Elle suppose des projets compatibles avec des différences acceptées". Elle n'est envisageable qu'en cas d'assentiment de tous à vivre ensemble et à constituer une même société.
M. Long, président du Haut Conseil à l'Intégration considérait ainsi: "(...) le Haut Conseil a défini l'intégration non comme une voie moyenne entre assimilation et simple insertion, mais comme un processus spécifique; il a préconisé que la France maintienne une logique d'égalité des personnes qui s'inscrit dans son histoire, dans ses principes, dans son génie propre et va plus loin, nous semble-t-il, dans l'épanouissement des droits de la personne que la reconnaissance des droits des communautés minoritaires (...)". Le déclin de l'usage du concept d'assimilation est consécutif au développement de la recherche. L'usage français du terme intégration tend à réduire la complexité du phénomène étudié puisque l'essentiel de la différenciation sociale entre les populations serait réduit par l'intermédiaire du processus, tandis que la formulation de la problématique sur d'autres bases impliquerait l'affirmation ou la reconnaissance de la distinction de certaines populations, car se situant à un autre niveau. Cette spécificité française est parfois incomprise par les observateurs étrangers si bien que des analyses telles que celle qui suit expriment, dans des termes qui apparaissent comme inadaptés, les problématiques ici soulevées: "A second way in which France's racial problems differ concerns the French view of citizenship. Immigration is not new to France: it had more than 1m immigrants in the 1880s, and had successfully absorbed hundreds of thousands of Poles, Italians and Spanish much more recently. But absorbed is the word. There is not much of a tradition in France of integration, meaning accepting a group that behaves significantly differently from the majority".
Commentant l'enquête de l'INED réalisée en 1982, G. Noiriel souligne: "Mais dans le même temps, le fait de prendre au sérieux la catégorie "enfants d'immigrés", notamment dans le questionnaire distribué aux enseignants associés à l'enquête, est une manière de construire la différence". L'EDP présente l'avantage, par rapport à toute autre technique de collecte d'informations auprès de sous-populations, d'être constitué a posteriori, d'après des données collectées auprès de l'ensemble de la population. Cela a aussi une influence sur la qualité du suivi et sur la qualité des réponses. Depuis les origines, dénombrer les hommes est une opération sacrée, aujourd'hui devenue sensible et complexe. Elle est au cœur des rapports entre l'individu et la société: cela implique non seulement de dire qui fait partie d'une population et qui n'en fait pas partie, mais aussi de dénommer des sous-populations et de trouver des critères de constitution. En dépit du caractère conventionnel d'une telle démarche, l'exposé des motivations et décisions qui ont présidé au choix du titre de cette recherche correspondait à une exigence de clarté. La prétention à la rigueur scientifique, même dans le cas d'une étude essentiellement statistique, ne dispense pas d'une réflexion sur l'usage des taxinomies qui sont liées au corps de données dont on dispose. Peu d'études échappent à des choix terminologiques préalables qui pourront être ensuite interprétés comme autant d'engagements plus ou moins politiques, et certains produisent des recherches dans lesquelles, de fait, à nos yeux, des préjugés ou sous-entendus apparaissent. Les classifications peuvent être critiquées et ne sont que le produit de choix d'individus ou de collectivités (autorités publiques, chercheurs, décideurs administratifs ou économiques...). Selon les critères et termes utilisés, il est possible de décider de créer ou de faire disparaître un groupe humain, de provoquer son apparition publique ou de nier son existence. La dimension novatrice de notre approche, fondée sur une remise en cause partielle de l'étude à partir de la seule nationalité de l'individu, constitue, dans une certaine mesure, une rupture avec une tradition longtemps établie mais inadaptée à la représentation de certains phénomènes sociaux. A partir de diverses populations, la construction d'un groupe d'individus (une population), comme celle d'un peuple, repose donc sur un travail social d'homogénéisation grâce auquel une collection disparate d'individus se transforme en un tout intégré. Conformément aux recommandations des autorités publiques de tutelle, les gestionnaires du système statistique public ont construit un appareil dont la forme ne peut être dissociée des objectifs qui ont été ceux des politiques mises en œuvre. En effet, en 1992, le Haut Conseil à l'Intégration indiquait: "La logique d'égalité s'oppose à ce que l'installation durable sur notre sol de personnes étrangères ou d'origine étrangère soit recherchée et vécue sur le mode de regroupements communautaires, constitués sur une base ethnique nationale, et qu'elles négocient leurs espaces propres et des droits spécifiques". Inscrire sa réflexion dans la logique exposée dans les pages précédentes et dans la première partie de la citation ci-dessus, implique le renoncement à l'analyse statistique de l'ethnicité à partir de données publiques. Se situant dans la lignée des définitions proposées par le Haut Conseil à l'Intégration, un ancien secrétaire d'Etat à l'intégration, nous a ainsi exprimé une opinion qu'il nous semble utile de citer: "le modèle républicain d'intégration qui refuse l'assimilation pure et simple ainsi que le différencialisme dissolvant, c'est-à-dire le communautarisme, porte en lui la capacité de garantir encore longtemps la cohésion sociale et nationale". Cependant, cette capacité n'assure pas, de manière systématique, le caractère effectif de cette cohésion. Il est paradoxal que certains utilisent désormais, en France, des typologies de classification ethnicisantes, à l'heure où, dans les pays où elles sont traditionnellement utilisées, on constate qu'elles sont, au mieux, incertaines et souvent inadaptées. La démonstration la plus convaincante en a été donnée, dans une perspective d'analyse des politiques publiques, en 1975 par N. Glazer. Les auteurs anglo-saxons, eux-mêmes, conviennent de la validité des arguments contre les classifications raciales ou ethnicisantes; en particulier, si celles-ci sont construites à partir d'apriorismes, c'est-à-dire sur des bases biologisantes à faible contenu scientifique. L'anthropologie (ou l'ethnologie) permet de répondre, avec d'autres modèles et instruments, à certaines interrogations. A ce titre, nous rejoignons sans doute Max Weber qui proposa que l'on abandonnât l'adjectif "ethnique" en tant que concept scientifique sur lequel puissent s'asseoir des analyses quantitatives. Cependant, les limites de la catégorisation ne concernent pas seulement les questions de l'ascendance et de l'appartenance culturelles. Les évolutions des modèles familiaux (nous le verrons dès le prochain chapitre), et la relation qui se développe entre précarité familiale et précarité sociale, provoquent un ébranlement des certitudes inscrites dans les catégories juridiques dont l'usage est légitimé par les administrations. Les évolutions des typologies utilisées pour représenter les situations scolaires et professionnelles individuelles, afin de mieux cerner le flou entourant la période de l'insertion professionnelle, tout comme ces nouveaux repérages des situations intermédiaires entre inactivité et exercice d'un emploi à temps plein, le démontrent. Le nécessaire renouvellement des représentations s'oppose à la continuité des normes de représentation. Or, une certaine continuité est consubstancielle au caractère longitudinal de données ayant vocation à mesurer des évolutions et similitudes.