Le dernier ouvrage d'Amin Maalouf intitulé "Les identités meurtrières" (Grasset, octobre 1998) et en particulier la première partie de ce livre, s'inscrit tout à fait dans le débat que nous poursuivons. En voici quelques extraits"choisis":
De la difficulté de se donner une identité:
"Lorsque l'on me demande ce que je suis "au fin fond de moi-même", cela suppose qu'il y a, "au fin fond" de chacun, une seule appartenance qui compte, sa "vérité profonde", en quelque sorte, son "essence", déterminée une fois pour toutes à la naissance et qui ne changera plus; comme si le reste, tout le reste sa trajectoire d'homme libre, ses convictions acquises, ses préférences, sa sensibilité propre, ses affinités, sa vie, en somme ne comptait pour rien. Et lorsque l'on incite nos contemporains à "affirmer leur identité" comme on le fait si souvent aujourd'hui, ce qu'on leur dit par là c'est qu'ils doivent retrouver au fond d'eux-mêmes cette prétendue appartenance fondamentale, qui est souvent religieuse ou nationale ou raciale ou ethnique, et la brandir fièrement à la face des autres."
Du caractère multiforme de chaque trajectoire
" A ceux qui me posent la question, j'explique donc patiemment, que je suis né au Liban, que j'y ai vécu jusqu'à l'âge de vingt-sept ans, que l'arabe est ma langue maternelle, que c'est d'abord en traduction arabe que j'ai découvert Dumas et Dickens et Les voyages de Gulliver, et que c'est dans mon village de la montagne, le village de mes ancêtres, que j'ai connu mes premières joies d'enfant et entendu certaines histoires dont j'allais m'inspirer plus tard dans mes romans. Comment pourrais-je l'oublier? Comment pourrais-je m'en détacher? Mais d'un autre côté, je vis depuis vingt-deux ans sur la terre de France, je bois son eau et son bon vin, mes mains caressent chaque jours ses vieilles pierres, j'écris mes livres dans sa langue, jamais plus elle ne sera pour moi une terre étrangère.
Moitié français, donc et moitié libanais? Pas du tout! L'identité ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnées. Je n'ai pas plusieurs identités, j'en ai une seule faite de tous les éléments qui l'ont façonnée, selon un "dosage" particulier qui n'est jamais le même d'une personne à l'autre".
Identité et hiérarchie des appartenances
"A toutes les époques, il s'est trouvé des gens pour considérer qu'il y avait une seule appartenance majeure, tellement supérieure aux autres en toutes circonstances qu'on pouvait légitimement l'appeler "identité". Pour les uns, la nation, pour d'autres la religion ou la classe. Mais il suffit de promener son regard sur les différents conflits qui se déroulent à travers le monde pour se rendre compte qu'aucune appartenance ne prévaut de manière absolue….. (Tous ces exemples) pour insister sur le fait qu'il existe, à tout moment, parmi les éléments qui constituent l'identité de chacun, une certaine hiérarchie, celle-ci n'est pas immuable, elle change avec le temps et modifie en profondeur les comportements."
Un autre style, une autre manière de traiter de ces questions!
France Guérin-Pace