A LA RECHERCHE D’UN CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE POUR L’ETUDE DES MAILLAGES TERRITORIAUX

" Les découpages du territoire ", Lyon, 8-10 Décembre 1997.

 Communication présentée aux Entretiens Jacques Cartier

Séance : " De l’aire au réseau "

 Claude GRASLAND

CNRS-Equipe P.A.R.I.S.

 

 INTRODUCTION

Dix années de recherche consacrées à l’analyse géographique des frontières, des barrières et des discontinuités nous ont conduit à proposer successivement plusieurs cadres théoriques et méthodologiques permettant d’envisager la constitution d’une science générale des maillages territoriaux située aux confins de l’ensemble des sciences sociales, mais plus particulièrement de la géographie humaine, de l’histoire et de la sociologie.

Les résultats de cette recherche constituent l’objet d’un mémoire d’habilitation à diriger des recherches intitulé " Contribution à l’analyse géographique des maillages territoriaux " et soutenu à l’Université Paris I en février 1998 devant un jury composé de trois géographes, d’un sociologue et d’un statisticien. Plutôt qu’un point d’aboutissement, ce travail constitue un bilan provisoire devant permettre la poursuite de recherches systématiques et comparatives sur l’impact qu’exercent les découpages du territoire sur la vie en société à différents niveaux d’organisation.

A travers les deux interventions présentées aux entretiens Jacques Cartier nous avons repris le plan de ce mémoire qui visait (1) à préciser les principaux concepts, outils et méthodes permettant d’entreprendre une étude systématique des maillages territoriaux et indiquer les étapes de constitution du cadre théorique finalement retenu, puis (2) à montrer sur un exemple précis, celui de la formation d’une discontinuité dans l’Ouest rural français (limite Ille-et-Vilaine/Mayenne de 1955 à 1988) comment ce cadre permet d’articuler les apports de la géographie et de la sociologie dans l’analyse conjointe de la dynamique des territoires et des réseaux sociaux.

 

ESSAI DE DEFINITION DU CONCEPT DE MAILLAGE TERRITORIAL

 

En français, maillage est un terme ancien qui désignait autrefois l’action de frapper le lin ou le chanvre à l’aide d’une masse de bois (le mail). Jugé archaïque par Littré dès la fin du XIXe siècle, le terme de maillage disparaît de l’usage courant au début du XXe siècle (1) et est encore absent de certains dictionnaires vers 1948 (2). Le renouveau du terme est tardif et il se marque par une mutation radicale du sens puisque maillage désigne désormais un filet ou un réseau et renvoie de ce fait au terme de maille. Cette mutation sémantique entraîne un enrichissement considérable du terme de maillage en raison de la polysémie de son nouveau référentiel. Le terme maille semble dériver du latin macula qui désignait à la fois la boucle et la tache(3) . La maille peut ainsi désigner potentiellement à la fois un objet et son contour, tandis que le maillage peut désigner à la fois un ensemble de formes et une grille permettant de saisir celles-ci. Ainsi, dans le cas d’un filet, la maille peut désigner soit le réseau des fils entrelacés, soit l’espace vide dont la boucle définit contour.

Cette dualité du concept de maille se retrouve en géographie. Dans le dictionnaire de P. George (1970), le terme de maillage ne fait l’objet que d’un très court développement et n’est employé que dans un sens réticulaire : " Tracé d’un réseau de collecte ou de distribution (eau, électricité, voies ferrées, etc.) dont les tronçons enveloppent des espaces de tailles variées. Le maillage atténue les incidents dus à la mise hors-service d’un tronçon "..Dans le dictionnaire des Mots de la Géographie (1992), le terme de maillage fait l’objet d’un développement beaucoup plus important(4) mais le sens proposé par P. George en 1970 y est totalement absent. C’est désormais sur les fonctions de découpage, d’appropriation et de gestion de l’espace que se focalisent les auteurs qui consacrent de long développements à la forme et à la dimension des mailles territoriales en fonction des objectifs qui leur sont assignées (Encadré 1).


Encadré 1 : Définitions du terme maillage en géographie (Brunet & al., 1992)

Maillage : Ensemble des filets qui situent les lieux dans les mailles* de l’appropriation et de la gestion du territoire, et principe de partition opératoire et socialisé de l’espace. Le maillage va de la parcelle à l’Etat à travers toute l’échelle géographique.

L’espace est " parti " de mailles. C’est l’une de ses caractéristiques fondamentales. Les processus d’appropriation* produisent, par définition, des partitions *. La maîtrise du territoire, et de ses ressources tant humaines que physiques, nécessite sa partition dès lors que l’on atteint une certaine masse et un certain degré de complexité. Il s’agit en effet : 1. de partager entre les familles le sol, pour exploiter ses ressources : cela fait les parcelles, les concessions, les exploitations agricoles. 2. d’assurer une base aux groupes élémentaires en lesquels se divise un peuple : cela fait les finages de villages, les territoires des tribus. 3. de disposer de relais* du pouvoir, en leur attribuant une étendue qu’ils aient les moyens de maîtriser ; c’est alors une question de distance et de masse : le pouvoir " se rapproche " des citoyens en morcelant le territoire en niveaux successifs. Ce découpage facilite aussi bien les inventaires et les bilans que la police et le contrôle de l’application des lois. La première voie de la partition trouve son expression achevée dans le cadastre *. La seconde et la troisième dans les circonscriptions administratives. [...]

 Brunet R., Ferras R., Théry H., 1992, Les mots de la géographie - dictionnaire critique, Reclus-Documentation Française, Paris & Montpellier, pp. 286-287


En première analyse, on peut retenir qu’une caractéristique fondamentale du terme de maillage est son ambiguïté puisque, selon la belle expression de C. Raffestin (1980), il désigne tour à tour - voire simultanément - des réseaux de conjonction et des réseaux de disjonction.

Dans un sens plus général, les maillages, qu’ils soient territoriaux ou non, constituent des grilles de lecture, des filets permettant de capturer la réalité, du monde physique et du monde humain. A ce titre, ils sont à la fois condition, objet et enjeu de la connaissance scientifique.

Les maillages sont un mode de lecture de la réalité fondé sur le classement et le dénombrement d’objets ou d’événements discrets qui leurs préexistent(5). Le maillage présuppose donc l’existence d’une population d’individus(6) munis d’attributs permettant de les identifier et de les regrouper en classes. Mathématiquement, la définition d’un maillage revient à construire une application de l’ensemble X des individus vers un ensemble de K modalités discrètes et tel que le nombre de modalités soit inférieur au nombre d’éléments. La notion mathématique d’application signifie que les modalités sont incompatibles (un élément de l’ensemble de départ ne peut pas prendre plus d’une modalité) et exhaustives (tout élément de l’ensemble de départ à au moins une modalité qui lui correspond dans l’ensemble d’arrivée). Ainsi défini, le terme de maillage est équivalent à ceux de partition ou de relation d’équivalence. En effet la relation " x appartient à la même classe que y " est réflexive, symétrique et transitive, définissant de la sorte des classes d’équivalence entre les éléments qui appartiennent à la même maille territoriale(7) .

Il faut souligner que le maillage est un mode particulier d’appréhension de la réalité qui privilégie l’appartenance stricte et exclusive par rapport à un autre mode de lecture fondé sur la multiplicité et le flou des appartenances des éléments aux classes. Dans le cas d’un maillage, la probabilité d’appartenance des éléments aux classes est une alternative binaire {1,0} alors que dans le cas d’une partition en sous-ensembles flous la probabilité d’appartenance d’un élément aux différentes classes est définie sur un intervalle continu [0,1], la somme des probabilités d’appartenance de chaque élément aux différentes classes étant égale à 1 (Tableau INT-1)

Tableau 1 : Deux formes de relations d’appartenance

(1) Appartenance stricte

(2) Appartenance multiple

probabilités d'appartenance à ...

probabilités d'appartenance à ...

éléments

A

B

C

total

éléments

A

B

C

total

1

1

0

0

1

1

0.67

0.33

0.00

1

2

1

0

0

1

2

0.60

0.20

0.20

1

3

0

1

0

1

3

0.20

0.40

0.40

1

4

0

1

0

1

4

0.33

0.33

0.33

1

5

0

1

0

1

5

0.00

1.00

0.00

1

6

0

0

1

1

6

0.00

0.50

0.50

1

effectif

2

3

1

6

potentiel

1.80

2.77

1.43

6

 Le maillage tend ainsi à nier la notion d’imprécision et d’incertitude qui est inhérente à tout dénombrement et à toute classification en sciences sociales. Même lorsque le chercheur est conscient du caractère essentiellement flou de son objet d’étude, il tend à privilégier des modes d’appréhension rigide de la réalité. Ceci est particulièrement flagrant en géographie régionale, comme l’a souligné par exemple C. Rolland-May dès 1984 (Encadré 2).


Encadré 2 : Maillages et sous-ensembles flous (Rolland-May C., 1984)

[...] Exception faite des unités spatiales délimitées par l’homme pour des raisons politiques, administratives, juridiques, militaires ou autres motivations de domination spatiale, il est souvent difficile, voire impossible, de fixer à un espace géographique une limite nette, linéaire, continue. Le géographe se trouve le plus souvent en présence de marges, bordures, espaces " périphériques " ou autres zones de transition.

[...] Paradoxalement, ces caractères, tout en étant reconnus au début de toute analyse spatiale, sont en quelque sorte occultés lors de cette analyse. La régionalisation spatiale par exemple, cherche à mettre en évidence une limite unique, nette, linéaire d’un espace géographique, même si cette limite est " arbitraire " (George P., 1970), artificielle ou résulte d’une synthèse plus ou moins arbitraire aussi de critères divers. De même la géographie inductive quantitative admet implicitement la notion de précision en constituant la " matrice d’information chrono-spatiale ". Chaque unité spatiale est supposée appartenir entièrement et sans ambiguïté à l’ensemble étudié.

Il nous semble ainsi que, tout en reconnaissant la notion d’imprécision spatiale, le contexte cartésien qui sous-tend toute science nous pousse à respecter la loi du tiers-exclus c’est-à-dire à adopter dans notre réflexion, nos méthodes d’analyse spatiale, de régionalisation ou de classification, l’idée qu’un élément spatial ne peut appartenir qu’à un espace et un seul. Dans cette optique, un espace imprécis, " plus ou moins " bien délimité, n’est pas susceptible d’une étude scientifique, car il ne se prête pas à une telle structure binaire de pensée et de réflexion.

Rolland-May C., 1984, " Notes sur les espaces géographiques flous ", B.A.G.F., 502, pp. 160-161


 

Le privilège accordé aux maillages et aux partitions en sous-ensembles disjoints n’est cependant pas le fruit du hasard et répond dans la plupart des cas à un double souci de simplicité et d’efficacité. Il est directement lié au développement des méthodes statistiques fondées sur le dénombrement et l’échantillonage ainsi qu’au transfert de ces méthodes vers les sciences sociales. Il existe certes des généralisations de ces méthodes au cas des sous-ensembles flous, mais leur développement est récent et plusieurs mathématiciens ont critiqué les faiblesses des raisonnements basés sur la " logique floue ".

Le développement des méthodes quantitatives en sciences sociales a longtemps été indissociable de l’emploi de maillages. Et les critiques contemporaines sur l’emploi des maillages en géographie se retrouvent sous des formes très voisines en sociologie où la notion de maillage renvoit à celle de catégorie sociale.

 En introduction d’un numéro spécial de la revue Sociétés Contemporaines consacré entièrement à ce problème de la catégorisation statistique, A. Chenu (1997) montre que le problème de la pertinence des catégories utilisées en sociologie est un enjeu épistémologique fondamental qui s’est posé dès l’origine de la discipline. Si la distinction opérée par Durkheim entre catégories savantes et notions de sens commun a le mérite d’être claire, elle est toutefois souvent bien difficile à mettre en oeuvre dans la pratique. Le raisonnement statistique qu’autorisait l’emploi de catégorisation des phénomènes sociaux a été selon A. Chenu la source d’un " enthousiasme quasi fétichiste chez certains inconditionnels de la quantification " mais il a suscité en retour des " dénonciations non moins vigoureuses de l’escroquerie qui consiste à faire passer le savoir issu de l’instrumentation d’une compétence statistique au service des catégorisation de sens commun " Il s’est cependant constitué progressivement une troisième voie, notamment à la suite des travaux de P. Lazarsfeld (1970) qui consiste à prendre les catégories du discours scientifique, les catégories établies par le pouvoir et les notions issues du sens commun comme objets de l’analyse sociologique. Cette dernière semble la plus féconde car elle permet de montrer que les catégorisations sociologiques et la quantification qui les accompagne sont " la mise en oeuvre de formes symboliques qui engagent un bouleversement de la représentation de la parole ou du monde social " (Chenu A., 1997). En d’autres termes, les maillages utilisés en sciences sociales sont à la fois un mode d’observation de la vie en société et un fait social. Car ils révèlent et conditionnent les représentations que les sociétés ont d’elles-mêmes, et exercent de ce fait une action sur leur devenir. Et le sociologue ou le géographe peuvent d’autant moins renoncer à utiliser les catégorisations sociales ou les maillages territoriaux mis à leur disposition par le pouvoir que " l’enquête statistique se situant à une vaste échelle dépasse généralement les possibilités d’un observateur isolé " (Chenu A., 1997).

En prenant comme objet d’étude les maillages territoriaux, définis comme des partitions simultanées de l’espace et de la société en sous-ensemble deux à deux disjoints, on se trouve donc confronté à l’ensemble des problèmes dégagés tant par les sociologues que les géographes. Il faut donc à la fois s’interroger sur la pertinence des maillages territoriaux , en tant que grille d’observation des sociétés et de leur espace ; sur leur signification, dans la mesure où ils sont généralement établis par un pouvoir en fonction de certains objectifs ; et enfin sur leurs effets sociaux et spatiaux dans la mesure où ils constituent non seulement des niveaux d’observation mais aussi des niveaux potentiels d’organisation de la vie en société.

 La propriété centrale des maillages territoriaux est de fournir à travers les recensements et les registres administratifs une description exhaustive des membres d’une société et et de l’espace qu’ils occupent. Mais cette exhaustivité est purement formelle puisqu’elle repose sur l’utilisation de plusieurs grilles de collecte de l’information (sociologiques ou géographiques) qui ne donnent à connaître que la répartition globale des individus et des surfaces dans le cadre d’agrégats dont la pertinence reste dans la plupart des cas à démontrer. Les catégories sociales d’une part (activités, religions, ethnies, etc.) et les catégories spatiales d’autre part (quartiers, communes, départements, régions, etc.) constituent un mode d’observation de la société et de l’espace qui sont produits par un pouvoir en fonction de certains objectifs de contrôle ou de gestion et qui véhiculent l’idéologie sur laquelle repose ce pouvoir.

 Le discours scientifique, s’il entend ne pas se réduire à un discours technocratique, est donc dans l’obligation de soumettre ces catégories à critique avant de les utiliser. Mais il peut difficilement renoncer à utiliser l’information mise à sa disposition par le pouvoir dans la mesure où le coût économique de collecte d’une information exhaustive, aussi critiquable soit elle, est généralement hors de portée des moyens dont disposent les chercheurs en sciences sociales. Ces derniers peuvent sans doute procéder à des enquêtes où ils sont libres d’adopter des catégories sociologiques et géographiques les plus conformes à leurs hypothèses ou à leur problématique, mais ils sont alors confrontés au problème de la représentativité de l’échantillon constitué, laquelle ne peut le plus souvent être validés que par une confrontation avec les données officielles de recensement qui utilisent précisément d’autres catégories ! Il ne faut cependant pas adopter une position manichéenne et voir dans le chercheur une sorte de " chevalier blanc " face au " moloch " que constituerait un pouvoir obtus et aveugle. Les pouvoirs sont généralement soucieux d’utiliser les catégories sociologiques et géographiques les plus pertinentes possibles afin d’accroître leur connaissance sur la société et le territoire qu’ils contrôlent. Et ils recourent volontiers à l’expertise de chercheurs en sciences sociales, qu’ils soient géographes, sociologues ou économistes, pour amender et réviser périodiquement les catégories d’observation utilisées. Ce qui rajoute un problème supplémentaire pour l’observation de l’évolution d’une société et de son territoire sur de longues périodes.

 Enfin, et c’est le noeud du problème, les catégories sociologiques ou géographiques utilisées par le pouvoir mais aussi par les chercheurs en sciences sociales ne constituent pas, dans la plupart des cas, de purs outils d’observation des réalités sociales ou spatiales. Ces catégories définissent en effet le cadre ou le lieu de politiques sectorielles visant à réglementer ou à subventionner les activités de telle catégorie de population (e.g. les agriculteurs) ou de telle portion d’espace (e.g. les Zones d’Education Prioritaires). A la fois cadre d’observation et cadre d’intervention, les catégories sociologiques ou géographiques peuvent aussi devenir à terme des cadres d’identification ou de stigmatisation des population et des espaces concernés. Les notions d’ethnie et de région " Bamiléké " semblent ainsi être de pures créations des géographes coloniaux allemands puis français au XIXe et au début du XXe siècle. Les pouvoirs politiques et scientifiques ont projeté et finalement imposé des catégories et des délimitations qui n’étaient apparemment pas ressenties comme telles au départ par les peuples des régions concernées. Mais qui ont finalement été adoptées par les principaux intéressés dans la mesure où, à certain moment de leur histoire, elle répondait à leurs besoins ou tout au moins à ceux des élites qui les dirigeaient.

 Tableau 2 : Estimation de la population par province du Cameroun selon différents paramètres vers 1982

Province

Quotas définis

Population

Population

Population

(1976)

par l'arrêté du

selon le lieu

selon le lieu

fem. selon

04/10/82

de résidence

de naissance

le lieu d'or.

(RGPH 1976)

(RGPH 1976)

(Enq. ENF 1978)

Centre-Sud

19%

20%

19%

20%

Est

4%

5%

5%

5%

Littoral

12%

12%

9%

5%

Nord

30%

29%

29%

33%

Nord-Ouest

12%

13%

14%

12%

Ouest

13%

14%

17%

21%

Sud-Ouest

8%

8%

7%

5%

(anciens militaires)

2%

-

-

-

Source : Note confidentiel de la délégation générale à la recherche scientifique et technique, Janvier 1984

La définition des catégories sociologique et géographique peut constituer un enjeu fondamental, comme le montre les problèmes soulevés par l’application d’un décret de 1982 au Cameroun sur les quotas de places dans la fonction publique réservés aux différents candidats selon leur province d’origine. La province d’origine est décrite par le décret d’application n°82-407 comme " la province dont ses parents légitimes sont originaires ". Le critère retenu est donc en apparence purement géographique, mais il ne fait aucun doute que la volonté du pouvoir signataire du décret est de prendre en compte par ce biais l’ethnie, c’est à dire une catégorisation sociale. L’objectif de la loi est fondamentalement ambiguë car si l’objectif affiché est d’affecter plus de place aux candidats issus des provinces à faible scolarisation pour combler le retard pris par ces provinces dans la fonction publique, il pose un problème délicat d’arbitrage entre l’égalité de tous les citoyens camerounais inscrite dans la constitution et l’équité qui vise à instaurer une politique de discrimination politique en faveur des régions les plus en retard. En outre, le décret n’est pas dénué d’arrières-pensées politiques puisque les régions " en retard " sur le plan scolaire sont précisément celles d’où sont originaires les dirigeants qui exercent alors le pouvoir (Nord).

Même en admettant le bien-fondé de l’objectif de discrimination positive retenu, l’application du décret conduit à d’autres formes d’ambiguïté puisque la manière de mesurer le poids de chaque catégorie est à l’évidence un enjeu crucial. Les quotas retenus par l’administration (Tableau 1) correspondent approximativement à la population résidente selon la province de résidence au recensement de 1976, cette population résidente comprenant tous les habitants de la province, Camerounais ou non, à l’exclusion des Camerounais résidant à l’étranger. Or, comme le souligne un rapport confidentiel rédigé en 1984, et dont est extrait le Tableau 2-1, " ces chiffres sont très différents de la population selon la province d’origine, en ce sens que les originaires d’une province donnée, immigrés dans une autre province, sont comptés parmi les résidents de leur nouvelle province de résidence "(8). Les ethnies originaires de province à forte émigration tels que les Bamilékés (Ouest) voient donc leur quota de poste dans la fonction publique fortement réduit, tandis que les ethnies localisées dans les provinces d’accueil comportant de grandes agglomérations telles que Douala (Littoral) ou Yaoundé (Centre-Sud) voient leur quota considérablement augmenté (Bopda A., Grasland C., 1994). La contradiction principale du décret vient du fait que les candidats postulant à un poste dans la fonction publique obtiennent un poste à l’intérieur du quota de leur province d’origine alors qu’ils contribuent à la formation du quota de leur province de résidence. Or, les deux ne coïncident pas nécessairement et les candidats originaires de provinces à forte émigration sont nécessairement défavorisés. L’évaluation de la population des provinces est de toute façon un problème délicat et les auteurs de la note confidentielle (qui sont manifestement des démographes) montrent que l’utilisation de données d’enquête sur l’origine de la population féminine en 1978 donne des résultats encore différents de ceux du recensement (Tableau 1).

Cet exemple montre que les maillages ne sont pas de simples niveaux d’observation établis par un pouvoir scientifique ou politique mais constituent parfois des enjeux essentiels pour la société. Il montre également qu’il peut exister une confusion entre les catégorisations sociologiques et les catégorisations géographiques, confusion éventuellement entretenue par un pouvoir lorsqu’elle sert ses objectifs. Le chercheur en sciences sociales ne peut donc ni accepter d’emblée les maillages comme cadres d’observation de la société, ni refuser de prendre en compte les informations qu’ils fournissent au premier comme au deuxième degré sur le fonctionnement des sociétés concernées.

 

L’APPROCHE RELATIONELLE ET LA MESURE DES EFFETS GEOGRAPHIQUE DES MAILLAGES TERRITORIAUX

 

Une science des maillages territoriaux doit se doter d’un ensemble de concepts et de méthodes permettant de décrire avec précision les phénomènes sociaux induits par la présence de partitions de l’espace et de la société et de suivre leur évolution au cours du temps. Contrairement à l’opinion généralement admise, nous pensons qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les questions méthodologiques et les questions conceptuelles et que seul l’aller et retour constant entre des réflexions sur les notions et des réflexions sur les mesures peut aboutir à un progrès de la connaissance scientifique. Une réflexion purement théorique qui ne se donnerait pas les moyens de falsifier ses hypothèses par des mesures appliquées à des situations concrètes serait une coquille vide. Une recherche purement statistique dépourvue de toute réflexion critique sur les objets précis que l’on se propose de mesurer serait vaine et dangereuse.

 

L’approche relationnelle qui consiste à étudier les attributs des paires de lieux plutôt que les attributs des lieux constitue une réponse très performante au double problème de l’élucidation des concepts et de la mise au point de mesures conformes aux hypothèses sous-jacentes à ces derniers. Elle permet en effet de donner une signification précise aux notions de barrière ou de discontinuité et, dans le même temps, permet de formuler une théorie de l’intégration territoriale montrant l’interdépendance entre des productions territoriales exogènes (réduction des liens entre les unités séparées par une limite) et des productions territoriales endogènes (accroissement des liens entre les unités appartenant à la même maille territoriale).

Nous avons proposé pour la première fois en 1994 une problématique de l’intégration territoriale fondée sur l’étude des rapports dialectiques entre flux, similarité et appartenance territoriale (Grasland C., 1994). Bien que la problématique développée à l’occasion de ce colloque porte principalement sur l’effet des frontières internationales, elle est directement transposable à l’étude des maillages territoriaux de niveau inférieur (limites administratives, zones d’aménagement) ou de niveau supérieur (alliances supranationales, unions économiques ou douanières). Cinq problèmes théoriques avaient été dégagés, dans le but de préciser les objectifs et les contours d’une science générale des maillages territoriaux.

  1. La variété des effets géographiques induits par la présence des limites politiques constitue le premier problème à étudier On peut en effet distinguer au moins deux types d'effets spatiaux des limites politiques, selon que leur action concerne les phénomènes de distribution (action structurelle) ou selon qu'elle concerne les flux (action dynamique). On parlera de discontinuité spatiale lorsque la présence de la limite politique se traduit par une baisse brutale de la similarité des unités situées de part et d'autres. On parlera au contraire de barrière (ou d'effet de barrière) lorsque la présence de la limite politique se traduit par une baisse brutale des flux entre les unités situées de part et d'autre.
  2. Le second problème théorique tient à l'ambiguïté des effets géographiques des frontières et à leur caractère relatif. La mise en évidence de discontinuités spatiales le long des limites politiques revient en effet à démontrer que deux unités appartenant à des mailles politiques différentes se ressemblent moins que deux unités appartenant à une même maille. L'analyse de l'homogénéité spatiale des unités politiques (intensité des similarités à l'intérieur des limites politiques) est donc le complément obligé de l'analyse des discontinuités spatiales puisque les deux notions se définissent l'une par rapport à l'autre. De la même manière, l'intégration spatiale des unités politiques, définie comme l'intensité des flux qui les parcourent, est le revers des effets de barrière. Plus généralement, il apparaît donc que toute analyse des effets de frontières politiques devrait se doubler d'une étude des effets d'appartenance politique. Dans bien des cas, l'explication des effets géographiques d'une frontière ne peut être comprise que par référence à l'ensemble des deux unités politiques qu'elle sépare.
  3. Le troisième problème théorique tient à l'emboîtement possible des effets de frontière lorsque l'on se trouve en présence de maillages politiques superposés. Par exemple, la mise en évidence d'une discontinuité le long d'une frontière d'Etat peut se rattacher à un effet supranational (la frontière nationale est aussi une limite de bloc politique) ou à un effet infranational (toutes les limites régionales présentent des effets similaires à celui observé le long de la limite nationale). Il convient donc de s'interroger sur la spécificité des effets observés à chacune des échelles politiques (Decroly J.M., Grasland C, 1992).
  4. Le quatrième problème théorique est celui de l'évolution des effets géographiques des frontières au cours du temps. Trop souvent, les études portant sur les effets géographiques des frontières se limitent à une seule date, alors que seule l'approche diachronique permet de découvrir leurs origines et, éventuellement, de prédire leur évolution. En outre, il arrive fréquemment que les effets des frontières concernent l'évolution et non pas le niveau des indicateurs. Ainsi, l'étude des indicateurs démographiques du mouvement naturel de la population des régions européennes de 1960 à 1985 a permis de montrer que les frontières d'Etat correspondaient beaucoup plus à des discontinuités d'évolution (les régions d'un même Etat ont des taux qui augmentent ou diminuent au même moment) qu'à des discontinuités de niveau (les régions d'un même Etat ont des taux comparables). Mais les discontinuités d’évolution peuvent à leur tour devenir des structures, par exemple lorsqu’elles s’inscrivent dans les pyramides des âges (Grasland C., 1997)
  5. Le cinquième problème théorique réside dans le choix d'une interprétation causale ou systémique des effets des frontières politiques. Dans beaucoup d'études on considère comme allant de soit l'hypothèse d'une action de la frontière sur les distributions géographiques et les flux. Il nous semble toutefois que deux hypothèses complémentaires devraient également être prises en compte, surtout si l'on se place dans une perspective historique. L'hypothèse de rétroaction suppose tout d'abord que l'action des frontières n'est pas unilatérale et que les barrières ou discontinuités peuvent contribuer en retour à conforter ou modifier les frontières politiques (George P., 1977). L'hypothèse d'interaction, quant à elle, souligne que la coïncidence apparente entre une frontière et une rupture spatiale peut résulter de l'action d'un facteur caché sur les deux facteurs observés (Brunet R., François J.C., Grasland C., 1997).

 Ces différentes questions peuvent être résumées à l’aide de la Figure 1 qui résume les interactions possibles entre limites politiques, barrières et discontinuités en distinguant des productions territoriales exogènes (liées à une réduction des liens entre les lieux séparés par une limite) et des productions territoriales endogènes (liées à un accroissement des liens entre les lieux réunis dans une même entité territoriale).

 Figure 1 : Une approche relationnelle du problème de l'intégration territoriale (I)

(Grasland C., Colloque " Political Boundaries and coexistence ", UGI, Basle, 1994)

 

La difficulté méthodologique centrale pour l’étude des phénomènes d’intégration territoriale consiste à opérer une distinction entre deux formes d’effets géographiques : des effets ubiquistes et continus liés à la décroissance des relations avec la distance ; des effets locaux discontinus liés à l’appartenance des lieux ou des individus à une même maille territoriale. Une maille territoriale étant par définition un rassemblement de lieux ou d’individus proches (situés à une faible distance) il existe des formes banales d’intégration territoriale liée aux lois générales de l’espace. Ainsi, le fait que deux villes situées à l’intérieur d’un même Etat échangent en moyenne plus de migrants que des villes situées dans deux Etats différents peut être la simple résultante de la décroissance globale des flux avec les distances (interaction spatiale) combinée avec le fait que les villes d’un même Etat sont en moyenne plus proches que les villes de deux Etats différents. Il existe au contraire des formes d’intégration territoriale spécifique lorsque l’intensité des liens intra-mailles est plus forte que celle des liens inter-mailles, toutes choses égales quant à la distance. Ce sont ces formes d’intégration territoriale spécifique qui déterminent l’apparition de barrières ou de discontinuités le long de certaines limites de mailles territoriales et ce sont elles qu’il s’agit avant tout de mesurer si l’on veut déterminer le rôle des maillages territoriaux dans la constitution des lien sociaux ou l’influence réciproque de l’organisation des réseaux sociaux sur les changements de limite ou de statut des maillages territoriaux.

 L’approche relationnelle dont les principes ont été esquissées précédemment a permis de nombreuses avancées méthodologiques dans l’analyse géographique de la structure des agrégats sociaux et des interactions qui se nouent entre ces agrégats. L’analyse diachronique des barrières et des discontinuités permet en effet de mettre à jour des tendances de longue durée et des phénomènes d’interaction ou de rétroaction entre l’organisation sociale, l’organisation spatiale et l’organisation politique des sociétés. Mais les résultats de ces travaux apparaissent finalement le plus souvent assez frustrant car ils soulèvent plus de questions qu’ils n’en résolvent.

 En effet, faute de disposer d’information désagrégées sur les comportements individuels, on est le plus souvent réduit à émettre des conjectures fragiles sur les processus sociologiques concrets dont l’effet émergent est l’apparition des barrières ou des discontinuités observées au niveau macroscopique. Et il est souvent difficile de trancher entre plusieurs explications potentielles des évolutions ou des structures mises en évidence par les analyses statistiques ou cartographiques. De ce fait, il est difficile d’utiliser les résultats de tels analyses à des fins de prévision ou d’aménagement du territoire.

 Lorsqu’on parle en géographie d’intégration spatiale pour désigner l’intensité des liens d’échange ou de ressemblance qui s’établissent entre des lieux, on ne doit pas oublier que l’on raisonne sur des agrégats sociaux dont la pertinence est loin d’être démontrée. Dans le cas des flux migratoires, par exemple il faut distinguer très clairement les relations qui se nouent entre les territoires et celles qui se nouent entre les individus ou les groupes présents à l’intérieur de ceux-ci. A titre travers plusieurs travaux de recherche sur l’évolution de l’effet de barrière migratoire entre les républiques tchèques et slovaques de 1961 à 1992, nous avons pu établir à l’aide de différents modèles que la perméabilité de cette limite n’avait cessé de se réduire au cours du temps (Cattan N., Grasland C., 1994 ; Grasland C., 1994). Plus précisément, nous avons pu montrer que, toute choses égales quand à la distance, les migrants préfèrent choisir une destination située dans leur propre république et que cette préférence s’était considérablement renforcée entre 1965 et 1975 pour se stabiliser ensuite. L’analyse de l’indicateur agrégé d’intégration territoriale que constitue l’évolution de l’effet de barrière est sans nul doute intéressante, surtout si l’on observe que des tendances similaires au renforcement des effets de barrière linguistique s’observent en Belgique, entre Flandres et Wallonie, au cours de la même période. Mais il faut demeurer très prudent dans l’interprétation d’une réalité statistique agrégée qui n’a pas trait directement aux réseaux de relation ou aux processus de décision individuels.

 Lorsque nous avons pu disposer de la composition individuelle des échanges migratoires entre la république tchèque et la Slovaquie, nous nous sommes rendu compte que plus de 70% des migrants circulant entre les deux républiques étaient des Slovaques, et ce dans les deux directions (Cattan N., Grasland C., Rehak S., 1996). Ce qui signifie que le volume global des échanges migratoires et son évolution au cours du temps ne reflètent que très imparfaitement le brassage territorial des nationalités à l’intérieur du pays et que la plupart des migrants originaires de Slovaquie n’ont effectué qu’un séjour de durée limitée en république tchèque. Il y a sans doute une forme d’intégration liée à la circulation de l’information véhiculée par les migrants entre les deux territoires, mais celle-ci n’implique pas une intégration plus poussée fondée sur l’installation durable dans l’autre république. En effet, les effets territoriaux que révèlent le filtrage ou le contrôle des effets proprement spatiaux pourraient certes s’interpréter comme l’influence du maillage politique ou administratif. Mais ils ont également de fortes chances de s’expliquer par les différences de composition sociale ou économique des unités situées de part et d’autre (langues, activités, revenus, etc.), c’est-à-dire par des effets purement sociaux. Cela ne remet pas fondamentalement en cause l’intérêt du filtrage des effets spatiaux mais réduit singulièrement la portée des interprétations que l’on pourrait faire des effets territoriaux(9). On ne peut valablement démontrer l’existence d’effets territoriaux spécifiques qu’à condition de contrôler les effets sociaux, comme l’a fait par exemple Z. Rykiel (1981, 1985) dans son étude sur les barrières migratoires et mentales à l’intérieur de la conurbation de Katowice(10).

 On ne peut donc comprendre les effets des maillages territoriaux qu’à la condition de contrôler simultanément les effets spatiaux et les effets sociaux qui interagissent avec lui, ce qui conduit à la mise en place d’un cadre d’analyse nettement plus complexe que celui qui a été utilisé précédemment. Centré sur le concept d’intégration, ce cadre d’analyse met clairement en évidence les limites d’une approche mono-disciplinaire et souligne la complémentarité indispensable d’au moins trois disciplines dans l’étude des maillages territoriaux :

  1. la géographie étudie l’influence des maillages territoriaux en tant que partition de l’espace susceptible de modifier les règles d’interaction spatiale régissant l’organisation de la vie en société.
  2. la sociologie étudie l’influence des maillages territoriaux en tant que partition de la société, c’est-à-dire en tant que catégorisation sociale imposée mais susceptible de devenir un cadre d’identification et d’action et donc capable de produire des normes ou des règles sociologiques exerçant une influence sur les comportements individuels ou collectifs.
  3. l’histoire étudie les phénomènes d’héritages et de mutation car il est rare qu’un maillage territoriale soit une création ex-nihilo, indépendante de maillages antérieurs. Au demeurant, il arrive fréquemment que des maillages fossiles, c’est-à-dire des découpages de la société et de l’histoire n’ayant plus de fonction propre, demeurent longtemps des niveaux privilégiés d’organisation de l’espace et de la vie en société.

 Mais cette division du travail est largement artificielle, car chaque discipline a besoin des résultats des deux autres pour analyser complètement les effets d’un maillage territorial. En outre, il existe un problème commun qui n’est en propre l’apanage d’aucune discipline, celui de l’articulation des maillages et des niveaux d’organisation de la vie en société. Dans la plupart des cas, on ne peut comprendre le fonctionnement d’un maillage particulier qu’en examinant les interactions qui l’unissent à des maillages de niveau supérieur (unités englobantes) ou inférieurs (unités englobées) voire à des maillages de même niveau mais utilisant un découpage différent de l’espace et de la société (unités sécantes). Sans ne peut-on manquer d’accorder une attention particulière au problème de l’articulation entre le niveau individuel des acteurs autonomes (individus, entreprises, familles) et celui des maillages territoriaux de niveau supérieur puisque c’est à cet échelon que l’on a le plus de chance de mettre à jour des processus concrets de décision permettant de rendre compte des phénomènes émergents ou des effets de contexte. Mais il faut souligner que chaque niveau d’organisation de la réalité sociale apporte un éclairage différent sur le fonctionnement de la société. Et la mode actuelle des " acteurs " conduirait à un appauvrissement préjudiciable de la recherche en science sociale si elle se traduisait par un abandon d’indispensables recherches complémentaires sur les comportements agrégés.

 

CONCLUSION

Parti d’une problématique géographique d’analyse des maillages territoriaux, nous avons été amené progressivement à opérer de nombreux rapprochement avec les problématiques sociologiques d'analyse structurale (Blau P., 1993) et d’analyse des réseaux sociaux (Degenne A., Forsé M., 1994). Bien que les sociologues n’envisagent pas explicitement d’étudier l’influence des structures spatiales ou territoriales sur le fonctionnement et l’organisation de la vie en société, le schéma d’analyse qu’ils ont proposé pour étudier l’influence des positions sociologiques quantitatives ou qualitatives sur les comportements individuels semble transposable à l’étude de l’influence des positions géographiques qualitatives et quantitatives. Une classification simultanée des différentes formes de position sociologique ou géographique permet de proposer un schéma s’analyse plus complexe qui montre l’intérêt mais aussi la difficulté qu’il y a à contrôler l’effet simultanée de ces différentes formes de position.

Figure 2 : Les quatre formes de positions géographiques ou sociologiques et les zones d'incertitude de la classification proposée.

 

Les mots en italiques sont des exemples de chaque cas de figure

Tout en comportant de nombreuses zones d’incertitude, cette classification permet de situer les différentes formes de position sociologiques ou géographiques les unes par rapport aux autres tout en montrant le flou et les zones d’incertitudes qui assurent le passage de l’une à l’autre. Ainsi, les maillages territoriaux définissent fondamentalement des positions géographiques qualitatives (appartenance territoriale), mais ils peuvent être utilisées à des fins d’information et de recensement (localisation spatiale ) ou à des fins de catégorisation sociale et de contrôle politique (appartenance sociale).

On le voit, l’analyse des limites politiques ou administratives est un encouragement puissant à remettre en cause d’autres frontières : celles qui séparent les différentes disciplines de sciences sociales ; celles qui opposent les tenants d’approches soit disant " qualitatives " et " quantitatives " ; celles qui nient la complémentarité des réflexions théoriques, des avancées méthodologiques et des validations empiriques ; celles qui limitent les échanges entre les " chercheurs " et les " décideurs " … Sur ce dernier point au moins, des occasions de rencontre telles que les entretiens Jacques Cartier 1997 apportent un début de solution.

 


BIBLIOGRAPHIE:

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Rykiel Z., 1985, " Regional integration and the boundary effect in the Katowice Region ", Geographica Polonica, 51, pp. 323-332.


Notes:

(1)Le terme de maillage est ainsi absent de l’édition 1924 du Nouveau Petit Larousse illustré.

(2) Mortier R. (Dir.), 1948, Dictionnaire Quillet de la langue française 3 volumes, Paris.

(3) Selon R. Brunet & al. (Les mots de la géographie - dictionnaire critique, 1992, Reclus-documentation française, p. 287) le terme de maille pourrait également dériver de mezg, tisser, nouer, qui a donné en anglais le terme mesh (filet).

(4) Près de deux pages sont consacrées à la rubrique maillage :

(5) Ce qui pose un problème de récurrence puisque les objets où les événements dénombrés à l’intérieur d’un maillage de niveau N ont souvent été définis par un premier maillage de niveau N-1 dont les éléménts à leur tour dépendaient d’un maillage de niveau N-2, etc.

(6) Les termes de population et d’individu sont à prendre ici au sens statistique d’unité élémentaires de comptage, c’est-à-dire d’ensemble et d’élément. Cf. Jaffard P., 1976, Initiation aux méthodes de la statistique et du calcul des probabilités, Masson, Paris, p. 1.

(7) Un maillage ou une partition définit donc une relation binaire particulière entre les éléments d’un ensemble et ceci implique que l’on peut définir des maillages soit à travers l’étude des attributs d’un ensemble d’éléments, soit à travers l’étude des relations entre les éléments d’un ensemble. Dans ce dernier cas, le graphe des relations ne peut définir un maillage que s’il présente les propriétés d’une relation équivalence ou si il peut être transformé de façon à aboutir à une relation de ce type. Ainsi, tout graphe non valué et non orienté correspond à une relation R qui peut être transformé en une partition correspondant à la relation d’équivalence définie par sa fermeture transitive R’ : " xR’y : il existe au moins un chemin selon R de x à y". On retrouve donc dans la définition mathématique du maillage la même ambiguïté que dans l’usage des géographes où le maillage est à la fois un réseau de relation et une partition : " Il est indifférent de parler de relation d’équivalence ou de partition et on peut identifier l’ensemble des partitions [d’un ensemble] à l’ensemble des relations d’équivalence [sur ce même ensemble] " : Caillez F., Pagès J.-P., 1976, Introduction à l’analyse des données, SMASH, Paris, p. 32.

(8) X***, 1984, " Problèmes soulevés par l’application du décret n°82-407 du 7 sept. 1982 et de l’arrêté n°010467/MFP/DC du 4 oct. 1982 ", Note confidentielle et anonyme émanant de le Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique du Cameroun, Institut des Sciences Humaines, Département de recherches démographiques, Yaoundé, Janvier 1984.

(9) Lorsqu’il existe une coïncidence presque parfaite entre une maille politico-administrative et une discontinuité linguistique (comme c'est le cas en Belgique et en Tchécoslovaquie), les données agrégées ne permettent pas de savoir si la barrière révélée par les comportements migratoires est de nature sociale ou territoriale. Sans oublier que les limites concernées sont également de vieilles coupures historiques et culturelles.

(10) Les travaux de Rykiel sur la Silésie Polonaise ont mis en évidence de très forts effets de barrière entre les parties de la région qui ont été occupées tour à tour par les Allemands, les Autrichiens et les Russes. Dans les années 1970-1980, ces effets de barrière se marquaient toujours très fortement, aussi bien dans la distribution des migrations que dans celle des mariages ou des navettes domicile-travail. Mais les enquêtes auxquelles a procédé Rykiel sur les représentations que les enfants ont de leur territoire et des territoires voisins montrent que les représentations négatives de l’altérité qui sont à l’origine de ces barrières ne sont pas un simple héritage social mais aussi un effet de contexte territorial. Les descendants de polonais de culture allemande ont ainsi une vision négative du reste de la Silésie, mais ce ne sont pas les seuls. Car les descendants d’immigrants venus s’installer dans la partie anciennement allemande de la Silésie ont récupéré cette même perception négative, bien qu’ils ne soient pas eux-mêmes descendants de familles de culture germanique. Il existe donc bien un effet territorial, indépendant des déterminants proprement individuels ou culturels. .